Philippe Théodore RAICHLEN 1920 – 1949

Philippe RAICHLEN en avril/mai 1945 – source famille Raichlen-Pernot.

Il est né le 24 juillet 1920 à Urville dans le Calvados.

 Il est le deuxième enfant de Louis Raichlen(ingénieur chimiste et ancien combattant en 1914-1918) et Suzanne Berger-Levrault(famille d’imprimeurs ) .

Suzanne et Louis Raichlen – source famille Raichlen-Pernot.

 La fratrie compte 4 enfants : Pierre(1918), Philippe (1920), Marie(1923) et Catherine(1927).

De gauche à droite Philippe, Catherine, Marie, et Pierre Raichlen à Fontenay aux roses en 1938 – source famille Raichlen-Pernot.

Philippe reçoit(en souvenir) en deuxième prénom, celui du frère de sa mère, Théodore Berger-Levraut tué le 25 septembre 1915 (premier jour de la grande offensive en Champagne) à la butte du Mesnil, près de Minaucourt-le-Mesnil-lès-Hurlus dans la Marne, alors qu’il est Lieutenant au 37ème Régiment d’Infanterie.

Lieutenant Théodore Berger-Levraut en avril 2015 – source famille Raichlen-Pernot.

Depuis le printemps 1923 il vit avec sa famille à Fontenay-aux -roses.

Comme son frère Pierre, Philippe est un excellent élève. Ses parents l’envoient deux fois en Grande Bretagne, à Oxford en 1937 et 1938, et cinq fois en Allemagne, de 16 à 19 ans dont la dernière fois en juillet 1939 où il est témoin un soir d’une manifestation et d’un défilé des jeunesses hitlériennes : « Il y avait là quelques trente colonnes d’environ vingt-cinq enfants chacune, de 12 à 15 ans, sous les ordres de vétérans âgés de quelque 18 ans. Tous en veste brune, culotte courte de velours noir à côtes, baudriers de cuir, large couteau, brassard à croix gammée…et des colonnes habillées de tenues marines, bleu sombre, avec le béret, et des troupes de BDM – jeunes filles à la jupe bleue, blouse blanche, d’un manque de charme uniforme et triste. Le spectacle de tous ces enfants…m’apparut comme sinistre et beau tout à la fois » …la guerre est proche.

De 1920 à 1942 – carte mmcpc.

Dans son journal il évoque la période du 10 mai au 25 juin 1940 qui se termine par la défaite de la France face à L’Allemagne nazie. Cependant ces quelques semaines il continue ses études en attendant d’être mobilisé (il l’espère). Le 12 mai 1940, il prend réellement conscience des évènements : « Cette journée marque à mes yeux la fin d’une époque de ma jeunesse ; ou peut-être la fin de mon enfance… C’est le 12 mai 1940 que commence vraiment pour moi cette guerre tragique… Fin d’une période de vie heureuse et facile… car dès le 13 mai le désastre commença, bien qu’encore à notre insu, à poindre pour la France ». Le 21 mai il passe un concours de droit, le 26 il poursuit sa préparation militaire (puis à Avignon à partir du 19 juin), le 28 la Belgique capitule, le 3 juin les allemands bombardent son quartier. Le mardi 11 juin 1940, il quitte Fontenay avec sa famille pour rejoindre le petit village de Sarrians en Provence, où la société Minorga, où travaille son père, s’installe (pendant 5 mois avant de rentrer à Fontenay).

Philippe aide sa soeur Catherine pour ses devoirs à Lyon en 1942 – source famille Raichlen-Pernot.

Il obtient une licence en droit et une licence en lettres. Il est diplômé à Sciences Po Lyon en 1942.

Philippe RAICHLEN lors d’une permission en mai 1943 alors qu’il est dans les chantiers de la jeunesse dans le Vercors – source famille Raichlen-Pernot.

Le 14 novembre 1942,Philippe est appelé aux Chantiers de Jeunesse (comme tous les jeunes hommes de son âge, sous le régime de Vichy), comme étudiant domicilié en zone libre, affecté au 8ème groupe du groupement XI (Vercors) qui est basé à Villard-de-Lans, nommé chef d’équipe le 1er mars 1943, il travaille successivement au Bois Barbu, pendant l’hiver, puis à l’École de ski de la Fauge, enfin, après Pâques, il travaille à la coupe de la forêt de Château Jullien.

Insigne métalique du Chantier de Jeunesse n° 11 « Vercors » – source internet.

Le 16 mai 1943, il part en permission pour Fontenay en prétextant du désir de consulter sa famille avant de signer un rengagement auprès des Chantiers pour x mois. De retour le 31 au soir aux chantiers de Jeunesse il apprend qu’il est requis pour l’Allemagne. Le 2 juin à 8 heures et demie du matin il déserte avec un camarade, parcourt 90 kilomètres à pied en trois étapes par les hauteurs les plus désertes du Vercors (garde son uniforme mais arrache les insignes), et trouve un asile provisoire près de Crest, dans la Drôme en espérant pouvoir rejoindre l’Espagne par la suite.

A Crest Philippe se rend au presbytère où le Pasteur l’aide à obtenir de faux papier. En attendant il est caché à Blacons chez un agriculteur, puis au-dessus de Beaufort chez un autre.

A  la halte de Piecros-la-Clastre,  il attend que la cheffe de gare regagne sa cuisine pour soigner un civet qui mijote à petit feu pour s’asseoir au pupitre ad hoc et prendre tous les cachets de la halte dont il a besoin  pour antidater les deux permissions authentiques des Chantiers, en blanc, pourvues des cachets du groupement XI et du groupe 9 (il avait aussi un double jeu de fausses (de vraies) cartes d’identité « Chantiers », timbrées, tamponnés, en blanc, l’une à son vrai nom, l’autre au nom de Duffour, Philippe né en 1923, qui le rajeunissaient de 3 ans, pour être dispensé de tout service au S.T.O. Un secrétaire du Groupement de jeunesse lui les avait remises avec les permissions) , pour faire courir une permission du 25 juin et postdater l’autre du 28 mai pour rendre celle-ci moins suspecte, celle-là plus utile fin juillet.

Photo faite en juin 1943 et destiné à la fausse carte d’identité de Philippe Raichlen comme indiqué par sa propre plume – source famille Raichlen-Pernot.

Le 11 juin 1943 le Pasteur lui fournit enfin deux cartes d’identité en blanc avec sa photo tamponnée et la griffe authentique du préposé aux cartes de la Drôme.

Il part le lendemain sur les hauteurs par Gigors et les Fouquets, contourne Chabeuil pour arriver dans Valence puis Saint Chamond. Il semblait que rien ne peut désormais l’arrêter sur cette nouvelle route… le 17 juin il arrive par le train à Paris et le 6 juillet 1943 il est en Espagne : 20 jours.

Ses parents le soutiennent dans son projet de rejoindre l’Espagne mais d’autres membres de la famille sont plus réservés en raison des risques encourus pour tout le monde (principalement par crainte de représailles de l’occupant).

Avant son départ un ami passe le voir à la maison…ils se reverront au 1er RCP par la suite : «Henri Wajnglas (futur brevet n°1944) passent à la maison. Ce dernier, comme moi, déserteur du Bois Barbu (8ème groupe), dont il était magasinier : mon exemple l’avait décidé, il voulait lui aussi passer en Afrique. Faute de pouvoir l’emmener, je l’adressai à une autre filière : nous devions nous rencontrer par la suite, et, pour finir, il fut breveté parachutiste (n°1944) en Sicile sous mes yeux. « 

Tracé du parcours de Philippe du30 mai 1943 au 30 juin 1943 – carte mmcpc.

Après un dernier au revoir à ses parents, frères et sœurs il quitte avec ses deux amis, la gare d’Austerlitz à 20h le 28 juin 1943 à destination de la frontière espagnole. Après 12h de train de nuit, sans aucun contrôle ni policier, il arrive dans la gare de Toulouse. En fin de journée il voit pour la première fois la chaîne des Pyrénées. Il se souvient avoir rêvé cette nuit-là, des crêtes mystérieuses qu’il fallait maintenant traverser pour « vivre libres ou mourir » comme disent les Catalans. Le 30 juin il reprend le train en direction de Boussens sur la ligne de Tarbes d’où il prend le bus pour arriver à Saint-Girons, base de départ prévue pour rejoindre l’Espagne.

La veille de son départ il envoie un message codé à ses parents : « Partirons dimanche avec guides armés : maximum de chances. Affections. »…après réflexion pas forcément très prudent comme message se dira Philippe par la suite.

Le 4 juillet en pleine après-midi ils quittent St-Girons profitant que la population et les allemands soient allés regarder un match de pelote basque, suivi par le passage de la course vélocipédique des cols. Ils sont rejoints pas d’autres réfractaires (ils sont à présent 7 personnes dont 3 hollandais). En fin de journée leur repas est interrompu par les guides qui doivent les aider à franchir les Pyrénées contre 300 francs/personne… Ils s’éclipsent et ne laissent derrière eux qu’un jeune marin déserteur qui est chargé de les mener au lieu de rendez-vous où des hommes doivent les conduire à la frontière espagnole. Ils passent par des petits chemins escarpés en direction du col d’Allos. Dans une auberge ils font affaire avec un guide pour quatorze mille francs au total : « nous nous laissions faire par l’aubergiste, patriote escroc qui nous soutirait le peu d’argent français qu’il nous restait avec tous nos tickets » comme l’écrit Philippe Raichlen dans son carnet.

La chance est avec eux ils ne tombent pas sur une des patrouilles allemandes  avec des chiens qui longent à intervalles irréguliers la frontière. L’étape suivante dans la région du Mont Valier va durer 20h sous une chaleur accablante, en étant sur le qui-vive en permanence et en essayant le moins de bruit possible pour franchir les cols les uns après les autres. Après 29 heures de souffrance (55kms parcourus à pieds) de multiples chutes, les blessures, le froid, la neige, les envies de rebrousser chemin ou de rester sur place à cause de la fatigue, ils franchissent le dernier col à plus de 2600 m d’altitude pour descendre dans une vallée où ils tombent sur deux bergers espagnols et leur troupeau : le 6 juillet 1943.  Pour échapper aux postes de carabiniers, trois jours de marche s’imposent encore par les montagnes pour traverser toute la Sierra des Incantats (altitude moyenne 2000 à 2700m). 

Le franchissement des Pyrénées et de la frontière franco-espagnole – carte mmcpc.

Philippe est encore en forme mais le reste du groupe (moins les 3 hollandais qui n’arrivaient déjà plus à suivre) est épuisé, c’est pourquoi ils décident de se livrer aux carabiniers espagnols à Alos où ils sont incarcérés et dépouillés, au fur et à mesure, de leurs affaires et vivres. Ils quittent Alos pour être transférés à Lerida et sa tristement célèbre prison du « Seminar Viejo ». Dès l’arrivée le 9 juillet 1943, ils sont fouillés, dépouillés de tout, interrogés…Philippe écrit dans ses mémoires à ce sujet : « C’était censément pour deux jours que nous devions passer cette grille… la fouille minutieuse qui nous dépouilla de tout objet tranchant, de tout argent, même de ma boussole, même d’un thermomètre médical apporté dans mon bagage … Par bonheur nous avions dissimulé tous nos avoirs dans l’armature même du sac… nous ayant bien volé sans espoir de retour tout ce qu’ils avaient pu trouver, on nous poussa dans la salle aux interrogatoires… croyant naïvement que cela nous vaudrait des indulgences par l’effet de je ne sais quelle justice immanente. Pauvres de nous, quelle bêtise ! Non seulement toutes les listes étaient livrées aux allemands, qui connaissaient ainsi ceux dont les familles restaient en France, mais nous mêmes, déclarant plus de 21 ans, nous mettions dans le cas de subir un internement prolongé … ». Pour Philippe et ses camarades c’est le début de conditions de vie extrêmement difficiles, de misère, de faim, de soif, de violence, de maladie (les poux et punaises pullulent), d’espoir et de désespoir, de promiscuité, de brimades, de punitions, de coups et maltraitances…

Au « Seminar Viejo » il n’y  pas que des évadés français ou étrangers (ils seront rejoints par les 3 hollandais) mais également des prisonniers Espagnols de droits communs ou Républicains qui sont encore régulièrement exécutés malgré la fin de la guerre civile espagnole depuis 4 ans.

El Seminario de Lleida – source internet, montage mmcpc.

Tous les prisonniers  sont rassemblés tous les jours, après une très longue attente,  arrivent les « Officiales », cravache à la main. Commence l’hymne espagnol au clairon et qui se termine par une sonnerie aux morts interminable. Puis le directeur, bras levé, hurle : « Arriba España ! Viva Franco ! ». Les prisonniers doivent en faire de même mais Philippe nous raconte que les français crient à la place : « Arriba la merda ! Viva Pourceau, Salaud ! C’est seulement après toutes ces simagrées que commence la distribution de la soupe…infâme et insuffisante.

Par chance Philippe et son groupe dès leur entrée dans la salle 4 (100 à 150 par chambrée) sont reçus et intégrés à un petit groupe  dont d’anciens camarades de Science Po de Lyon (Musset, L’Herbette et Delay). Cette « petite collectivité » s’organise pour subvenir aux besoins des uns et des autres du mieux possible, se protège mutuellement et s’entraide moralement.

Le 13 juillet les hollandais quittent la prison, encouragent Philippe et ses amis et promettent de les aider. Philippe songe à s’évader de cette prison et échafaude dans sa tête des plans.

Dessin de Philippe Raichlen avec en titre « MANANA…qui signifie « demain matin » comme la réponse donné tous les matins par l’administration espagnoles aux hollandais jusqu’à la libération de leurs amis français – source famille Raichlen-Pernot.

Le 17 juillet le « miracle » se produit le groupe initial (de 5) de Philippe est libéré : suite à l’intervention des hollandais (en particulier Roel) auprès du gouverneur de la province jusqu’à obtenir  pour tous un sauf conduit pour Madrid. Malheureusement l’Herbette et Delay ne sont pas concernés et il faut les quitter. Ils sont en semi liberté à Rocallaura en attendant de pouvoir quitter Lérida. La nuit du 29 juillet ils partent  enfin en train vers Barcelone où ils arrivent le 31 vers 11h du matin. Philippe et son ami Hugues via le consulat anglais deviennent anglo-canadien pensant rejoindre l’Afrique du nord plus rapidement mais le 14 septembre 1943, ils apprennent par ce dernier qu’il faut qu’ils s’adressent à présent à la Croix-Rouge suite à un accord politique récent. On apprend par ses écrits du 29 octobre 1943 que Philippe rêve de s’engager chez les parachutistes : « un de mes projets inavoués était, dès mon arrivée en Afrique, de contracter un engagement dans les parachutistes. Évadé de France, j’en avais le droit. Depuis quinze ans je rêvais de voler, de sauter en plein ciel. Une obsession : le vol. »

Du 9 juillet au 13 novembre 1943 – carte mmcpc.

Après plusieurs faux départs et 4 mois d’attentes en Espagne, Philippe quitte Barcelone le 10 novembre 1943 en direction de Madrid (Reus/Tarragone – Belchete/ Saragosse – Alarma de Aragon – Madrid) puis arrive à Malaga (Aleazar de San Juan – Andujar – Cordoue – Malaga) le 13 novembre après 52h  de voyage ferroviaire.

Carte de la Croix Rouge pour le convoi ferroviaire du 10 novembre de Philippe Raichlen – source famille Raichlen-Pernot.

C’est à Malaga qu’il retrouve par hasard Wajnglas : « Wajnglas. Mon camarade des Chantiers, le secrétaire du Bois Barbu. Il sort de prison, il est là avec son groupe. Reconnaissance, exclamations, récits. Il a traversé la montagne vers les provinces basques. Prison, Miranda, pas même un jour de liberté. J’avais gardé certains remords pour m’être allé sans l’emmener. Cela me fait plaisir de le revoir ce soir, échappé aux boches de la frontière. Et ce ne sera pas notre dernière rencontre, loin de là. Voir Trapani, Rome, le front, Colmar, etc… ».

Le paquebot « Sidi Brahim » avec lequel Philippe traverse la Méditerranée entre le 15 et 17 novembre – source internet.

Le 15 novembre c’est l’embarquement sur deux bateaux sous pavillon anglais (mais il s’agit de navires français « Lépine » et « Sidi-Brahim » sur lequel embarque Philippe)… de joie, tout le monde chante sur le bateau malgré l’interdiction, trop heureux de quitter enfin l’Espagne !

Le 17 novembre Philippe débarque à Casablanca. Sur le quai des troupes françaises présentent les armes, on joue la Marseillaise et un discours d’accueil félicite tous ces nouveaux évadés de France. Des camions les emmènent à 15kms au sud de Casablanca dans le camp de Mediouna.

Livret militaire individuel de l’armée de l’air délivré à Pierre Raichlen après son engagement dans les parachutistes – source famille Raichlen-Pernot.

Samedi 20 novembre Philippe s’engage dans l’Infanterie de l’Air, au 1er Régiment de Chasseurs Parachutistes (1er RCP) et gagne le dépôt de l’’Air 209 à Casablanca.

Insigne de poitrine du 1er RCP.

Après avoir achevé les formalités d’incorporation, d’habillement, de casernement et de solde il part en train le 26 novembre et effectue le trajet : Rabat – Fez – Meknès – Oujda.

De Malaga à l’Airborne Training Center à Oujda – carte mmcpc.

Arrivé à Oujda le 29 novembre 1943 il est emmené à l’Airborne Training Center et s’installe dans une tente comme l’ensemble des parachutistes français et américains.

Insigne de l’Airborne Training Center de la 5ème Armée US à Oujda – source internet.

Le 3 décembre il passe la redoutée visite médicale (il porte des lunettes et craint de ne pas avoir à minima les 6/10ème requis pour la vue) qu’il passe avec brio : Bon pour le personnel navigant !

Les nouveaux arrivants sont présentés au Colonel Geille et au commandant Faure qui les passent en revue, un par un, et les interrogent chacun en détail. . Le régiment est heureux d’accueillir des évadés. C’est un « souffle de France » qui viendra l’animer. Philippe indique  au  sujet de cette présentation : « Geille porte son brevet de parachutiste soviétique. Cela, et son regard d’acier, nous intimident passablement. Mais nous nous sentons conquis par de tels chefs. »

Ils sont pris en charge par l’équipe des moniteurs américains pour leur formation parachutiste. Le 1st Lieutenant Borden, chef de l’école parachutiste, réclame un interprète, et Philippe sort des rangs. On lui fait, comme épreuve préliminaire, réciter l’alphabet en anglais. OK ! le voici confirmé à ce poste important et il va désormais vivre en contact journalier avec les cadres américains. . L’intérêt du stage se double d’une expérience humaine attachante pour Philippe.

Le premier contact avec les « anciens » du régiment est curieux  pour Philippe :

« …nous trouvons des gens tout-à-fait dégoûtés. On leur promet de semaine en semaine une attaque imminente. Mais on s’est battu en Tunisie, le régiment n’y était pas ; en Sicile : il faisait de la montagne près de Fez ; à Salerne, où les « paratroupes » américaines ont tant donné : le régiment défilait à Fez encore ; en Corse, avec le bataillon de choc : rien non plus pour nos parachutistes. C’en était trop. Un si dur entraînement pour ne jamais combattre ?… Mais allez un peu attaquer le régiment devant eux : ils vous sautent à la gorge.  Nous gardons peu de contact avec les « anciens ». Leur mépris pour les bleus, non parachutistes, est total. »

Du 6 au 12 décembre, une semaine « d’Airborne training » :  très dure, peu nourris, beaucoup de sport, de courses (le « hip-hop »), de sauts au sol, d’exercices dans une carlingue démontée, séances de pliage et pour Philippe en plus un rôle d’interprète.

Philippe effectue ses deux premiers sauts le matin du 16 décembre 1943, suivi de deux sauts supplémentaires le 17. Il fête noël dans un convent d’Oujda. Le lundi 27, il effectue son 5ème saut en formation de guerre, c’est-à-dire par bordées entières (17 hommes par avion) larguées en même temps que 3 DC3 « Douglas » volant aile contre aile : « Je vis passer l’avion de gauche au-dessus de ma tête avant même que le parachute fût ouvert. Je rentrais le cou avec la crainte bête de me voir décapiter ! Hautement excitant. » Il obtient ainsi le brevet parachutiste américain (4 sauts) le 17 décembre 1943 et le certificat de l’ Airborne Training Center – Parachute school .

Certificat américain pour l’obtention du brevet parachutiste US de Philippe Raichlen – source famille Raichlen-Pernot.

Le lendemain il effectue un 6ème un saut de nuit à 120m d’altitude qui valide son brevet parachutiste français (6 sauts) : brevet parachutiste français n°1788.

Diplôme français de brevet militaire d’aptitude aux fonctions de parachutiste de l’infanterie de l’air de Philippe Raichlen daté du 29 février 1944 – source famille Raichlen-Pernot.

Le 8 janvier 1944 Philippe et ses camarades quittent Oujda dans des wagons à bestiaux, en route vers l’Algérie et les montagnes proches de Tlemcen. Après 47h de voyage ils débarquent à Ménerville (Thenia aujourd’hui) pour poursuivre à pied. C’est le début de l’instruction militaire. Philippe est affecté à la 3ème Compagnie (antichars, mortiers, PC du bataillon) du 1er Bataillon du 1er Rgt de Chasseurs Parachutistes. L’entraînement est dense avec une instruction individuelle et collective : armement, tir, groupe de combat, marches, exercice d’accoutumance au feu à balles réelles traçantes, patrouille, lancé de grenade… qui se termine le 5 février 1944.

Période du 8 janvier au 4 mars 1944 – carte mmcpc.

Le 15 janvier via l’Aumonier du Régiment il écrit un message à son oncle Henri, que le Vatican doit transmettre par voie diplomatique et qui arrivera à bon port avec une réponse après le 15 mai 1944.

Le message transmis par Philippe le 15 janvier 1944 et revenu le 15 mai 1944 avec la réponse de ses parents – source famille Raichlen-Pernot.

Le 7 février le Lieutenant Guiraud qui commande la compagnie désigne d’office Philippe comme secrétaire de celle-ci, au grand damne du désigné.

Le 10 février Philippe embarque pour participer volontairement au stage d’éclaireur-skieur avec tout le matériel prévu à cet effet (ski, anorak…) qui se déroule dans une ancienne colonie de vacances des chemins de fer algériens à Tikjda au cœur du Djurdjura.

Pendant le stage stage d’éclaireur-skieur à Tikjda – fonds Métivier.

Au programme : les virages en « parallèle », conférences sur les avalanches, escalade, fartage, réglage des skis, tir avec le 1 Garand, etc…

Une séance de tir – fonds Métivier.

Philippe est affecté à la première section d’éclaireurs-skieurs (1er bataillon) et le voici éclaireur-chasseur-skieur-parachutiste. En présence du Commandant Faure une démonstration sur piste est faite le 27 février. Le stage se termine le 4 mars 1944.

Le 6 mars le régiment s’installe en bordure de côte dans le village du Figuier.

Au retour de ce stage le nouveau commandant de la 3ème compagnie veut affecter, comme prévu, Philippe au poste de bureau mais celui-ci lui laisse à entendre que le lieutenant Guiraud l’avait pressenti, non comme scribouillard, mais comme interprète allemand et anglais pour le 1er bataillon dont la 3ème Cie comprend les éléments d’État-Major. Le Capitaine Vincent, nouveau venu au régiment, s’incline devant le choix de son prédécesseur. L’entrainement et les tâches quotidiennes se poursuivent.

Dimanche des Rameaux, 1944 des camions les emmènent à l’aérodrome de maison Blanche. Philippe et ses camarades chargent leurs sacs à paquetage, parachutes, armes et gaines dans le DC3 « Peggy » et décollent le 2 avril vers midi 20 : « Mes camarades chantaient en chœur, allongés sur les paquetages individuels, et l’équipage s’amusait de nous sentir heureux ainsi. Soudain quelqu’un cria de regarder par les hublots vers le Nord : nous survolions un convoi (95 bateaux) qui gagnait l’Italie. ».

Croquis de Philippe racontant ce qu’il a vu pendant ce vol vers la Sicile – source famille Raichlen-Pernot.

Il distingue également le grenadage par l’aviation alliés d’un sous-marin qui guettait l’arrivée du grand convoi.

Ils atterrissent le jour même à Trapani en Sicile et vont y rester jusqu’à début juillet. L’entraînement et les sauts se poursuivent. La population locale est relativement hostile aux français et de nombreux accrochages et bagarres qui ont lieu. Le fait que certains soldats profitent de la situation, de la population qui « meure de faim » pour échanger des denrées alimentaires contre des faveurs sexuelles n’améliore pas la situation.

En Sicile Philippe suit l’entrainement de base des Pathfinders US  avec le groupe de Radio Guidage du 1er RCP et effectue plusieurs saut dont un de nuit(le 7ème)  qui aurait pu être fatal car le parachute s’est enroulé suite à une mauvaise sortie de l’avion de son « propriétaire »…plus de peur que de mal à moins de 100m il s’ouvre complétement. Un 8ème « saut de vacances » est effectué avec Lt Sausse(brevet n°1826) et Sgt Procquez (les américains « offrent » 3 places qui restent disponibles dans leur avion aux français ). Puis encore deux autres en juin (n°9 et n°10) qui seront les derniers de Philippe pour l’année 1944.

 Début juillet le 1er RCP quitte la Sicile pour Rome où il reste jusqu’à début septembre 1944 (mis à part 17 hommes, le régiment ne participe pas aux opérations du débarquement de Provence).

Philippe Raichlen touche le sol métropolitain avec l’ensemble du régiment le 4/5 septembre 1944 lorsqu’il atterrit sur l’aérodrome de Valence Chabeuil. Le régiment installe son cantonnement à Valence pour se préparer à entrer prochainement en action.

Le mardi 26 septembre Philippe écrit dans son journal : « Nous allons monter en ligne »

Stationnant à Valence son père qui est à Marseille vient lui rendre visite le 27 septembre.

De Rome à Amlans-et-Velotte(70) – carte klm127.

Le 28 au matin Philippe et ses camarades embarquent dans des Dodges et camions et remontent vers l’est : Lyon – Bourg en Bresse – Lons-le-Saulnier – Besançon – Vesoul et le Hameau d’Amblans d’où il entend le canon au loin en direction de Belfort.

Le 30 septembre, Philippe Raichlen qui est dans le groupe de radioguidage, avec un peloton de 18 hommes commandé par le Lieutenant Lefèvre  partent (Départ du 2ème avion = terme du radioguidage qui signifie un petit peloton de 18 hommes », d’après Gory Georges brevet 1899) ,  vers la Longine en passant par Luxeuil et Faucogney et ils s’installent dans l’école.

Le 3 octobre, le régiment s’infiltre dans le dispositif ennemi en colonne par un, sans faire de bruit.

Philippe Raichlen, féru de carte topographique a retracer tout son parcours pendant la campagne des Vosges. Sur cette première partie il a tracé le long parcours de la parcouru par le régiment en file indienne pour s’infiltrer de nuit dans le dispositif allemand. Sur la partie droite les premiers engagements – source famille Raichlen-Pernot.

Pour Philippe et son groupe de radioguidage, le baptême du feu a lieu le lendemain lorsqu’il tombe dans une embuscade : « aucune victime ; l’adjudant crible à la mitraillette un boche (celui au FM), Ledoux(1402) en blesse grièvement un deuxième, un grand gosse blond avec des yeux bleus –mort depuis.

Desson envoie 3 balles de fusil dans le dos d’un troisième… Je me force à regarder de près le premier cadavre ennemi, puis continue à monter ». Les combats font rage tout autour dans les différents secteurs des compagnies du 1er RCP.

Philippe est chanceux, alors qu’il monte le guet on l’appelle au rassemblement ; il fait à peine 2 mètres qu’un obus allemand de 8,8cm explose à l’endroit (« criblée de ferraille ») où il se trouvait quelques secondes avant. Il est indemne mais ses camarades Desson (brevet 1669) et Yvorel (brevet 1474)  sont blessés par des éclats.

Les conditions sont terribles avec une pluie continue, l’impossibilité de faire du feu pour se réchauffer ou manger un repas chaud, le froid, les tirs d’artilleries incessants, les embuscades…

Le 5 octobre, ils progressent le long des crêtes du col du Broché… « Un obus tombe à 4 mètres. Lorrillard s’effondre : un gros éclat sous la rotule du genou gauche. Il marchait à moins d’un mètre devant moi. Mais un arbre a intercepté ce qui me revenait de ferraille. »

Détail des opérations dans le secteur des cols du Broché et de Morbieux par Philippe Raichlen – source famille Raichlen-Pernot.

Puis au Col du Morbieux : « beaucoup de monde. Le col vient d’être pris d’assaut, avec 3 canons de 155, des chevaux, plusieurs prisonniers. Plusieurs morts boches. Ensuite, une vaine contre-attaque en sèmera beaucoup d’autres encore. Nous remontons sur la tête du Midi ; une halte, puis avancée de nuit, en colonne par 1, vers l’objectif terminal : la tête du Gehan. Silence absolu. Marche très difficile. Nous couchons à flanc de pente, serrés en groupe de 5 ou 6, tout près du sommet. État d’alerte permanente. »

La suite des combats dans le secteur du Ménil – source famille Raichlen-Pernot.

Le 6 octobre, le groupe de Philippe réussit à s’approcher à moins de 100 mètres du village du Mesnil tenu par les allemands. Ils ouvrent le feu de toutes leurs armes et créent la panique dans le dispositif allemand qui s’enfuit. Ils sont seulement une quarantaine à devoir protéger le village alors que les allemands contre-attaquent avec de nombreux renforts mais tiennent jusqu’à l’arrivée des renforts du 1er RCP.

Par la suite le Régiment doit évacuer le village afin d’éviter d’être encerclé et dénombre une quarantaine de blessés et 5 tués.

Pour cette journée mémorable Philippe Raichlen est cité à l’ordre de la Brigade :

« Le 6 octobre 1944 au cours de l’attaque du village du Mesnil, a fait preuve des plus belles qualités d’audace en se portant seul au devant de l’ennemi. Est revenu rapporter sous le feu les commandements allemands qu’il avait traduits ».

Citation à l’ordre de la Brigade avec attribution de la Croix de Guerre 1939-1945 – source famille Raichlen-Pernot.

Les jours suivant les combats se poursuivent dans tout le massif de la forêt du Gehan et sur les différents cols. La faim et le froid se font sentir…la mort rôde… les effectifs fondent, à cause des malades et des pieds gelés.

Le 16 octobre, Philippe relève une seconde attaque du Régiment, la plus dure près du Col du Mesnil avec un très fort barrage d’artillerie : « Au début, silence. Mais bientôt, ça crache de droite et de gauche. Mitrailleuses et mitrailleuses lourdes à balles explosives. Ça siffle et chante. La terre saute en mottes brunâtres, ici, puis là. Je suis crevé, avec mes munitions, mais donne tout ce que je peux. Sueur à flots, essoufflement. Un mulet déchiqueté à côté. Le col est franchi. Très dure montée avec toute la charge jusqu’à la cote 1008 »

Ce jour là Philippe perd un bon copain, Ricciatti Louis (brevet 1790) qui est tué en attaquant un nid de mitrailleuse.

Le 17 octobre, Philippe participe à plusieurs escarmouches avec des patrouilles ennemis. Il traverse un champ de mines, et déclenche une mine bondissante à moins d’un mètre de lui mais il a de nouveau la baraka ; grâce à un arbre « providentiel » qui stoppe la charge mortelle. Il pleut de plus en plus et les combats font rage sous un duel d’artillerie permanent : « Cependant, je tiens le coup, physiquement, de manière extraordinaire, ainsi que la poignée qui reste du Radio guidage ».

Le 20 octobre, Philippe s’en sort à nouveau miraculeusement : « Une explosion : Raynaud, téléphoniste de la 1ère Cie,  est tué net à 2 mètres à ma gauche. 30 secondes. On va vers lui. 3 détonations simultanées : Morin, Chevalier, du Radio guidage, et un autre de la 1ère Cie sont fauchés par les éclats. Blessures aux jambes et aux cuisses. Soins aux blessés. Le Lt Beaumont fait sauter une 5ème mine à 50 cm de lui mais elle fuse sans exploser. »

Détail de la carte de Philippe Raichlen des combats du 16 au 20 octobre 1944 – source famille Raichlen-Pernot.

Le 21 octobre au soir la campagne des Vosges s’achève pour Philippe et ses camarades du 1er bataillon du 1er RCP. Il écrit cette ligne qui en dit long : «. Jamais en 18 jours de ligne je n’ai eu autant de hâte de sortir d’un endroit exposé ! ».

Le radio guidage après ses 18 jours a 2 tués, 11 blessés, 18 évacués (maladie ou gelure).

Seulement 17 hommes (39%) sont restés en ligne de bout en bout…ils étaient au départ 48 !

Pour le 1er RCP cette première campagne qui a montré l’exceptionnelle combativité du Régiment,  coûte chère avec de lourdes pertes avec 129 tués et 339 blessés (40% des effectifs).

Après une période de repos bien mérité dans le secteur de Lons-le-Saunier, de reconditionnement et de formation des nouvelles recrues (principalement du Bataillon Hémon qui vient de Paris) le 1er RCP est remis en alerte le 6 décembre 1944.

Le trajet du 7 et 8 décembre 1944 – carte klm127.

Le 7, départ vers Besançon, Vesoul, Luxeuil, Plombière, Epinal puis le lendemain Bruyères, Saint-Dié, le col de Saales pour arriver en Alsace (« en Allemagne à ce que l’on croirait à n’en juger que par l’aspect des villages et les inscriptions aux murs. »). Descente par Schirmeck, Mutzig, Illkirch-Graffenstaden et Gerstheim, terminus de ce « voyage ».

Pour Philippe la campagne d’Alsace commence réellement le 12 décembre avec une montée en lignes pour la « Garde au Rhin » : « Dès les tous premiers jours, un de mes meilleurs camarades d’Oujda, le sergent Picard(brevet 1782), fils d’un commandant du Maroc, devait tomber au cours d’un petit accrochage de patrouilles, près du Rhin : une balle dans la tête. » Pendant cette période le 1er RCP est rattaché à la 2ème Division Blindée du Général Leclerc.

Le 14 décembre 1944, Philippe se blesse bêtement en se faisant une entorse au pied droit. Dans l’impossibilité de marcher il est conduit à l’hôpital civil de Strasbourg , qui est le centre de rassemblement commun pour tous les blessés du régiment : « Et il y en avait… Mon Dieu qu’il y en avait » …suite aux combats acharnés menés par le 1er Bataillon dans le secteur de Neunkirch par un froid intense et une pluie d’obus. Il est transféré le 17 à l’hôpital américain de Mutzig et le 23, la mort dans l’âme (n’ayant pas suffisamment récupéré pour rejoindre au front ses camarades) il est évacué avec les blessés légers vers Meximieux (pendant ce temps le 1er RCP retourne à l’arrière à Plombières) mais débarque à Luxeuil et rejoint le radio guidage à pied à Plombières où il passe noël et reçoit de nombreux colis (famille ou donateur).

Le 30 décembre 1944, serré dans des Dodges direction le col du Bonhomme pour arriver à Hachimette : « Après avoir stocké les sacs dans l’église du village, nous partons, en colonne par un avec des mulets et deux goumiers pour guides, vers les crêtes et la forêt, dans la nuit tombée. »

La dernière journée 1944, Philippe la passe sous une fine neige qui tombe et perd un de ses camarades du stage de parachutiste d’Oujda, Rousseau Robert brevet 1796 (« un brave petit caporal paysan, un peu bègue, un peu fruste, très gentil »), tué par un tireur d’élite allemand…il ne sera pas le seul…

Relevé par la 3ème DIUS il quitte le secteur et passe le réveillon dans l’église d’Hachimette endommagée par les bombardements. Pour se réchauffer les hommes du 1er RCP allument de grands feux avec les bancs et stalles de l’église. A ce sujet Philippe écrit : « Je n’oublierai jamais le regard douloureux des gens du village qui vinrent, le lendemain, jeter un coup d’œil timide sur les restes profanés de leur église ».

Le 2 janvier, l’unité se déplace dans le secteur d’Orbey et Lapoutroie. Le 6, Philippe se rend au lac blanc.

Photo du lac blanc en janvier 1945 – source famille Raichlen-Pernot.

Les journées sont faites de patrouilles, d’incursions dans le dispositif allemand et de gardes de la ligne de front particulièrement éprouvantes la nuit.

Le 20 janvier retour en plaine et  le 23 départ de Obernai vers Châtenois. Le 25 Philippe Raichlen est à Guémar où il loge chez l’Ortsgruppführer local du parti nazi. : « Bel uniforme brun, avec casquette et brassard, que je revêts pour me balader ensuite en pleine rue, histoire de voir si quelqu’un viendra m’arrêter, sans succès d’ailleurs. »

Parcours du 30 décembre 1944 au 27 janvier 1945 – carte klm127.

« … Et puis ce fut la journée du 27 janvier, qui devait marquer tragiquement dans l’histoire du Radio Guidage… »

Passage du pont à Illhaeusern et débarquement au moulin de Jebsheim (du moins ce qu’il reste), rassemblement et départ en colonne par un vers le village. Sur la route principale ils sont bombardés et on leur tire dessus pendant plus d’une heure. Le village est en feu, à l’entrée du village soudain : « Mon dernier souvenir est d’avoir vu Villa et Guerrini traînant leur mitrailleuse sur un traîneau, devant moi. Le Radio Guidage est encore devant. Ledoux me dépasse, et puis c’est fini pour eux tous. Une immense flamme ? une fumée épaisse, un souffle qui me soulève de terre, un grondement trop vaste pour être entendu, mais que je ressens dans tout mon corps…pas un éclat de m’a frôlé, je suis seul sauvé, je me rappelle d’avoir reçu sur mon corps Hamel et Ledoux, mes deux voisins, tous deux grièvement blessés à 50 cm de moi…Un grand silence, une fumée épaisse, et le sang qui bourdonne dans les oreilles. Je me relève à demi, comme épuisé. Sifflement, autre explosion tout près. Je retombe à terre, résigné : celle-là non plus n’a pas pu me toucher. Silence. Un gémissement, et puis vingt cris : « À moi ! … Help !… Find me a doctor !… À moi ! » La rue jonchée de corps, et de corps, sous la fumée. ». Suite à cette frappe, pour le seul radio guidage c’est 10 tués et blessés. Mais malgré cela les survivants doivent le soir même attaquer un groupe de maison tenu fermement par l’ennemi.

Photo prise à Jebsheim le 29 janvier 1945 par le Lieutenant Pierre Leprette de la 9ème compagnie du 1er RCP – archives famille Xavier Réquillart.

Par des températures polaires (-25 degrés) les combats font rage, souvent à bout portant et au corps à corps face à des chasseurs alpins déterminés et habitués à combattre dans ce milieu hivernal. Il faut « nettoyer » les maisons une par une (certaines prises et reprises plusieurs fois) sous un déluge de fer et d’acier jusqu’au 30 janvier 1945, date définitive de la libération de ce qu’il reste du village de Jebsheim. Cette libération aura coûté la vie à 76 parachutistes du 1er RCP et fait 167 blessés (pour ce petit village les français et américains ont plus de 200 tués et 2000 blessés).

Philippe indique que le 30 janvier le radio guidage gagne le village de Muntzenheim (il dessine un plan à ce sujet) puis le 31 celui d’Urschenheim(en half-track). Il ne participe pas à la prise de Widensolen mais il est amené à traverser le village libéré pour faire une reconnaissance en direction du Rhin jusqu’en bordure de lisière de forêt d’où il distingue Breisach et le Kaiserstuhl. Le radio guidage cède le secteur aux américains et va se reposer à Widensolen qu’il quitte le 3 février pour rejoindre Colmar libéré la veille.

Plan de Philippe concernant l’opération du radioguidage (RG) du 30 janvier 1945 – source famille Raichlen-Pernot.

Philippe Raichlen dans ses mémoires évoque également la triste soirée du 10 février 1945 qui fera 5 tués et 10 blessés (les derniers du 1er RCP en Alsace) :

« ce soir de février (le 10, je crois) où la Caserne des Chasseurs, en plein milieu de la nuit, sauta à grand fracas : minée depuis 8 jours, nous l’occupions, insouciants du danger. La vie de quartier. Et soudain, dans l’obscurité, trois explosions immenses, à intervalles réguliers. Trois corps de bâtiment portés manquants, tout autour de celui que le radio guidage habitait. Les morts, les blessés. Les monceaux de décombres informes. Et l’évacuation précipitée de la caserne, le lendemain, dans un silence lugubre. »

Ainsi s’achève la campagne d’Alsace pour Philippe et ses camarades. Le 1er RCP a payé un lourd tribut dans les combats de libération de la poche de Colmar avec 167 tués et 512 blessés, ce qui représente 60% des effectifs engagés. Le 1er RCP quitte Colmar pour penser « ses plaies » à Lons-le Saulnier.

Fin février début mars 1945 il est en permission à Paris dans sa famille.

Photo prise lors de sa permission – source famille Raichlen-Pernot.

En avril-mai 1945, il rejoint Avord où tous les hommes non-brevetés effectuent leur stage parachutiste pour être brevetés.

Photo de groupe avec philippe Raichlen (cercle bleu) lors du stage à Avord – source famille Raichlen-Pernot.

C’est lors de cette période que Philippe effectue ses 5 derniers sauts en parachute (n°11 à 15) dont 2 le même jour.

Photo de groupe avec philippe Raichlen (cercle bleu) lors du stage à Avord – source famille Raichlen-Pernot.
Affaires personnelles de Philippe Raichlen : Fourragère rouge et verte de la Croix de Guerre 1939-1945 avec un insigne de poitrine du 1er RCP et un insigne du brevet parachutiste américain, une plaque d’identification (dog tag), 2 passants d’épaule des chantiers de jeunesse et un insigne tissu du radioguidage – source famille Raichlen-Pernot.

Philippe Raichlen est démobilisé le 20 septembre 1945 et rentre chez lui à Fontenay-aux-Roses.

De retour à la maison – source famille Raichlen-Pernot.

RESTE A ECRIRE LA PARTIE APRES GUERRE

Pour ceux qui souhaitent en savoir encore davantage sur son histoire nous vous conseillons l’excellent site que lui a consacré Anne-Catherine Pernot, sa nièce :

https://philipperaichlen.wordpress.com/

Nous remercions très sincèrement Anne-Catherine Pernot pour le partage de ses archives familiales et son aide précieuse pour la rédaction du parcours de Philippe Raichlen à qui nous rendons hommage pour son engagement au service de la France et de la libération du territoire national.

Nous ne l’oublierons pas!!!

Joseph Louis BALE III 1924 – 1945

Portrait du Pfc Joseph Louis BALE III – source internet, colorisation klm127.

Originaire du comté de Wayne, dans le Michigan, il est né à Detroit le 14 janvier 1924.

Il est le fils de Maurice Isaac Bale (1900-1965) et Edith Mary Pearlman (1901-1989). Il est surnommé « Little Jœ », contrairement à un autre membre de sa famille qui porte le même prénom et qui est lui surnommé « Big Jœ ».

Joseph L. Bale est un sportif accompli et reconnu dans le comté pour ses aptitudes sportive. Il apparait régulièrement en tête d’équipe lors des championnats de baseball, de cross-country et de basketball.

Joseph L. Bale prépare son entrée au Michigan State College, lorsqu’éclate la deuxième guerre mondiale. Il est alors enrôlé dans l’armée américaine et rejoint les effectifs de la 3rd Infrantry Division, où il effectue sa formation initiale.

Insigne de la 3rd Infantry Division ‘Rock of the Marne ».

 Après ses classes, Le Private First Class (Pfc.) Joseph Louis Bale III, numéro de matricule 16105122, est affecté à l’Etat-major du second bataillon (Headquarters Company, 2nd Battalion) du 7th Infantry Regiment de la 3rd Infantry Division, de la Seventh U.S. Army. Le surnom donné aux soldats du 7th Infantry est « Cottonbalers » et leur devise « Volens et Potens » qui veut dire « Volonté et capacité » (Willing and Able).

Insigne du 7th Infantry Regiment des « Cottonbalers ».

Joseph participe aux débarquements d’Anzio en Italie et celui de Provence en France. Il effectue la longue remontée, des troupes alliées du sud de la France vers l’Alsace. Il est blessé à trois reprises au cours de son service actif et il réintègre à chaque fois son unité à l’issue de ses convalescences successives.

Au moment du déclenchement de l’opération « Krautbuster » c’est à dire le franchissement du canal de Colmar, puis la prise des localités de Wihr-en-Plaine et de Horbourg ; Le Pfc. Joseph L. Bale qui appartient à la compagnie d’état-major du 2nd Battalion du 7th Infantry Regiment est sous les ordres du Major Duncan.

Panneau d’entrée du village de Wihr-en-Plaine (Weier auf den Land) en direction de Bischwihr, sous l’annexion nazie – photo Kevin Bonkendorf

Dans la nuit du 29 au 30 janvier 1945, alors que le 2nd Battalion vient de franchir le canal  de Colmar et approche de Wihr-en-Plaine, les soldats américains se heurtent à deux chasseurs de chars « Jagdpanther » allemands. Ces derniers dispersent les fantassins américains par des tirs d’obus explosifs et de mitrailleuses, qui occasionnent des pertes notables, bousculent les Companies F et G et frappent de plein fouet la Company E qui se trouve en réserve, ainsi que le groupe d’état-major du bataillon.

Le Major Duncan appelle alors en renfort les équipes anti-char armés de bazookas, afin d’engager les blindés lourds allemands. Le Pfc. Joseph L. Bale, qui fait parti de l’une de ses équipes anti-char, se tourne alors vers le Major Duncan et lui dit : « Eh bien, Monsieur, nous voici au dernier round ! »  Le jeu de mots en anglo-saxon (round = roquette/munition) est bien choisi car il n’a en effet plus qu’une roquette.

 Le tir n’est pas aisé vu la distance à laquelle il se trouve par rapport au Jagdpanther (estimation à plus de 500 yards, soit 457 mètres) qui est très au-delà de la portée utile du bazooka (maximum 300 yards/270 mètres). Les soldats présents autour de Bale retiennent leur souffle… « J’avais l’impression que des années passèrent » se remémore plus tard le Major Duncan.

Le soldat Earl A. Reitan indique dans son livre autobiographique : « La roquette décrivit un arc et frappa le char, qui explosa et prit feu. L’équipage allemand sauta du blindé en flammes. Les hommes se roulèrent dans Ia neige pour éteindre le feu qui brulait leurs uniformes. Un second char leur vint en aide, récupéra les survivants et se replia. Une grande clameur vint de la compagnie E. J’entendis cette clameur et escaladais le mur, mais ne vis pas le tir miraculeux […]. »

Le livre de Earl A Reitan : « I was a teenage rifleman in world war II » – internet

Le Major Duncan notait les mêmes scènes de liesse parmi ses hommes : « Les soldats ne purent se réfréner. Ils hurlaient à pleins poumons. Certains pleuraient de joie sans retenue. »

Certains soldats américains voulurent ouvrir le feu sur l’équipage du Jagdpanther, mais ne disposant plus de roquettes de bazooka, ils jugèrent préférable de ne pas attirer l’attention sur eux.

Le blindé allemand détruit est à priori le Jagdpanther numéro 311 commandé par l’Unteroffizier Hüsing. Deux membres d’équipage sont tués dont Hüsing lui-même, probablement morts brûlés vifs dans le blindé. Les trois autres membres d’équipage du char sont blessés (dont le tireur Roth). Le second Jagdpanther, après avoir récupéré les survivants de l’équipage, se replie dans le village.

Plus tard, dans la matinée du 30 janvier 1945, les forces allemandes déclenchent une violente contre-attaque qui vise à reprendre Wihr-en-Plaine. Celle-ci est appuyée par le Jagdpanther rescapé de l’accrochage précédent, aux abords du village. Le Major Duncan ordonne alors à ses hommes de se mettre à couvert dans les bâtiments, puis demande un tir de soutien d’artillerie sur la localité pour stopper l’offensive allemande.

C’est à ce moment-là que le Pfc. Joseph L. Bale, auteur du tir « miraculeux » au bazooka, tente de détruire le second blindé allemand. Réapprovisionné en roquettes, il tir depuis l’intérieur du bâtiment où il se trouve. Afin d’accélérer sa cadence de tir, Bale veut charger lui-même son bazooka, ce qui est normalement la tâche du pourvoyeur. Alors qu’il veut insérer la roquette dans le tube de son bazooka, cette dernière lui glisse des mains qui sont engourdies par le froid, et explose au contact du sol : elle lui arrache les deux jambes ! Il meurt peu de temps après des suites de ses blessures. Dix-sept autres de ses camarades qui se trouvent à proximité sont également blessés ou commotionnés par cette explosion.

Pour son action on lui décerne à titre posthume, l’une des décorations les plus prestigieuses de l’armée américaine, à savoir la Distinguished Service Cross, ainsi que la Purple Heart (médaille des blessés) avec trois feuilles de chêne (3 fois blessés).

La citation présidentielle qui accompagne la remise de la Distinguished Service Cross est la suivante :

« Le Président des Etats-Unis d’Amérique, autorisé par Acte du Congrès du 9 juillet 1918, est fier de décerner la Distinguished Service Cross (à titre posthume) au soldat de première classe Joseph L. Bale (matricule : 16105122), de l’Armée des Etats-Unis, pour son extraordinaire héroïsme en lien avec des opérations militaires contre un ennemi armé durant son temps de service au 2e Bataillon du 7e Régiment d’Infanterie de la 3e Division d’Infanterie, au combat contre les troupes ennemies le 30 janvier 1945 à proximité de Wihr-en-Plaine, France.

Ce jour-là, le bataillon du soldat Bale fut attaqué et stoppé par des blindés ennemis qui écrasèrent plusieurs fusiliers, en tuant un grand nombre.

Sous les tirs de 88 mm, d’armes automatiques et de grenades à fusil, le soldat de première classe Joseph L. Bale attaque sans crainte avec son lance-roquettes, ignorant les obus qui explosaient à cinq yards alentours et les balles d’armes automatiques qui martelaient la position. Il mit hors de combat un blindé ennemi, obligeant les Allemands à battre en retraite. Plus tard dans la même matinée, alors que son bataillon était attaqué par un autre blindé à une centaine de yards de distance, il brava un tir d’artillerie en tentant à lui seul de détruire ce dernier, mais fut mortellement blessé. Les actions intrépides du soldat de première classe Bale, sa bravoure et le zèle dont il fit preuve dans son dévouement au prix de sa vie, illustrent les plus hautes traditions des forces armées des Etats-Unis et rayonnent à grand crédit sur lui-même, la 3e Division d’Infanterie et l’Armée des Etats-Unis. »

Le Pfc. Joseph L. Bale III repose en paix pour l’éternité au milieu de ses frères d’armes au cimetière militaire américain d’Epinal.

Tombe du Pfc. Joseph L. Bale III.

Sa tombe (n°56) se trouve dans le Carré B, dans la Rangée 34.

En Mémoire de son sacrifice ultime pour la libération de Wihr-en-plaine, nous lui rendons l’hommage qu’il mérite et ne l’oublierons jamais !

Philippe Pierre Gustave DAUFRESNE 1921 – 1987

Philippe Daufresne est né le 30 novembre 1921 dans le 8ème arrondissement de Paris (75) dans une famille bourgeoise.

Son père Robert (5/02/1891 – 18/08/1954) est un ancien combattant de la première guerre mondiale, Chevalier de la Légion d’Honneur, 2 citations avec Croix de Guerre 1914-1918 et Croix de l’Aigle Blanc de Serbie est ingénieur des arts en manufactures.

Philippe est l’ainé d’une fratrie de 3 garçons : Jean-Claude (architecte en chef du Louvres) et Patrice (décédé à l’âge de 35 ans).

Il effectue ses études au collège de Sainte Croix de Neuilly sur Seine.

collège de Sainte Croix – source internet.

Après son baccalauréat Il étudie à l’École supérieure des sciences économiques et commerciales (ESSEC).

Philippe s’engage volontairement après la libération de Paris fin août 1944.

Insigne du 2ème Bataillon de Choc – source internet.

L’unité est constituée lors de la libération de Paris par des étudiants (en particulier issus du lycée Janson de Sailly) et des ouvriers de l’ouest parisien.

Le bataillon rejoint clandestinement la Première Armée Française du général de Lattre à Gray en Haute-Saône, le 27 septembre 1944 et part parfaire son instruction au camp de Valdahon

Pour son baptême du feu il est engagé avec les Commandos de France et le Bataillon de Choc le 22 novembre 1944 à Masevaux(68), où il subit ses premières pertes.

Devenu 2e bataillon de choc, au sein du 2e groupement, il est à nouveau engagé dans la région de Mulhouse et libère la ville de Richwiller le 24 janvier 1945.

Philippe Daufresne est sergent au 2ème Bataillon de Choc et combat avec la 1ère Compagnie.

Il effectue toute la campagne d’Alsace et d’Allemagne.

Il obtient une citation avec attribution de la Croix de Guerre 1939-1945.

Il se marie le 14 novembre 1946 à Neuilly sur Seine avec Françoise Marchand (né le 13/06/1923).

Leur premier fils, Eric né en 1947, suivi d’un deuxième garçon Jean-Christophe et d’une fille Dominique.

Philippe Daufresne en 1947 avec son fils Eric dans les bras – archives famille Daufresne.

Après sa démobilisation Philippe travaille dans une entreprise pétrolière américaine, la CALTEX, puis dans la cosmétique de luxe chez ROUGE BAISER à la direction commerciale.

L’un de ses loisirs préférés est la chasse qu’il pratique assidument dans une propriété familiale dans la Marne. Il a également un don pour le bricolage.

En 1987 après l’achat d’une résidence secondaire en Normandie et un déménagement éprouvant il rentre à Paris et décède subitement dans la nuit d’une crise cardiaque à l’âge de 66 ans.

Nous remercions sincèrement son fils Eric pour le partage de son histoire familial afin de rendre hommage à Philippe Daufresne et son engagement au service de la Liberté.

Raymond LOCCI 1926 –

Raymond Locci est né le 4 juillet 1926 à Esch-sur-Alzette au Luxembourg « par accident » comme il nous le dit lui-même.

Ses grand-parents d’origine italienne et sa famille habitait à Villerupt (ville voisine d’Esch-sur-Alzette) qui se trouve en Meurthe-et-Moselle(54).

Raymond et sa maman Inès (née en le 6/5/1908) – photo Raymond Locci.

Il est l’ainé des enfants de son père et sa mère et il a une soeur et un demi-frère suite au divorce de ses parents.

Auguste(né le 7/8/1897) son père qui est coiffeur déménage à Vittel où il ouvre un salon de coiffure (qui a très bonne réputation et accueil la bourgeoisie locale), et c’est dans cette ville que Raymond entre à la maternelle.

Raymond à Vittel – photo Raymond Locci.

En 1932 Raymond et sa famille déménagent à nouveau pour s’établir à Nancy puis à Plainfaing suite à des ennuis de santé de son père, puis à Saint-Dié (ils vont déménager ainsi 11 fois).

Une fois établit à Saint-Dié son père décide que Raymond exercera le même métier que lui…ce qui ne conviendra jamais à Raymond.

Raymond et ses camarades de classe en 1939 à Saint-Dié – photo Raymond Locci.

A 14 ans en 1940 il obtient son certificat d’étude et travaille avec son père au salon de coiffure.

En 1940 son père est appelé sous les drapeaux et Raymond voit s’installer chez lui et sa belle -mère des soldats français. Une fois la guerre perdue par la France il part s’installer à Saint-Dié où il trouve un travail de garçon coiffeur jusqu’en 1943.

La même année il perd son travail et comme nous l’explique Raymond c’était mal vue de trainer dans les rues sans rien faire : il est contrôlé à la gare de Saint-Dié par des français et des allemands et comme il est sans travail il est immédiatement embarqué à Nancy au centre d’apprentissage accéléré de la rue Cyfflé du service encadré du travail (en zone libre s’était le STO).

Au 1 rue Cyfflé à Nancy le centre d’apprentissage accéléré du service encadré du travail pendant l’occupation allemande, qui avant guerre était une école primaire (aujourd’hui lycée professionnel Paul-Louis Cyfflé). – photo internet.

Il se retrouve comme apprenti tourneur sur métaux dans l’école d’apprentissage pour l’entreprise JUNKER qui fabrique des avions pour l’armée de l’air allemande (une fois la formation terminée il est prévu de l’envoyer dans une usine JUNKER en Allemagne) et il doit porter un uniforme avec une francisque sur l’épaule; pas de quoi le réjouir. Lors de cette formation il est nourri, blanchi, logé et il fait la connaissance de Fred GRI qui est apprenti ajusteur et qui devient son copain. Ils s’aperçoivent que les pièces les plus belles sont présentées dans une vitrine avec le numéro de celui qui les a réalisées. Fabriquant les mêmes ils subtilisent les plus belles, effacent à coups de lime les numéros et frappent le leur mais cela ne va pas leur réussir car ils sont dans les meilleurs apprentis avec ce subterfuge. En mars 1944 ils se retrouvent sur la liste des meilleurs apprentis qui doivent rejoindre une usine en Allemagne. Les deux compères refusent de partir dans l’industrie de guerre allemande et décident de rejoindre l’Espagne pour tenter de rejoindre l’Afrique du Nord!

Ils achètent une carte routière et regardent où le train peut aller au plus proche de la frontière espagnole….c’est Lourdes! Pour financer ce voyage ils font la quête avec son copain pour acheter les billets de train à Champigneulles pour éviter les contrôles à la gare de Nancy. Quand ils rentrent au centre d’apprentissage un comité d’accueil les attends avec le chef de camp, le directeur allemand car ils cherchent à savoir qui sont les 2 personnes qui projettent de s’enfuir?…personne ne répond et en signe de menace ils sont avertis que si l’un d’entre eux manque à l’appel demain ils seront tous responsables.

Courrier du chef du centre, du 17 juin 1944, de la rue Cyfflé envoyé au père de Raymond – archives Raymond Locci.

A minuit, le 10 mars 1944, Raymond et Fred « font le mur » pour prendre un train de nuit vers une heure du matin en direction de Paris où Fred avait de la parenté. Ils y restent 2/3 jours. Ils ont des tickets de rationnement obtenus grâce à l’aide d’une personne du bureau du centre d’apprentissage qu’ils revendent très facilement pour se faire de l’argent avant de partir à Lourdes. Le train pour Lourdes est archi bondé, les gens dorment à même le sol et lors du franchissement de la ligne de démarcation, Raymond et Fred dorment dans le couloir : ayant leur uniforme du centre d’apprentissage avec la Francisque du régime de Vichy sur la manche, les contrôleurs allemands les enjambent sans vérification…la chance est avec eux!

La fuite de Nancy à Lourdes – carte klm127.

Arrivés à Lourdes à la descente du train ils entrent au « café des Cheminots » pour se restaurer. En sortant un gars les attend de l’autre côté du trottoir, relativement âgé, les interpelle et leur demande s’ils partent en Espagne? la réponse est oui! Le gars leur dit qu’il y mieux à faire et les embarque dans le maquis chez les FTP (Francs Tireurs Partisans) dans le secteur de Oloron-Sainte-Marie…c’est un vrai repaire de « bandits ». Raymond et Fred décident rapidement de s’en sauver et scrutent au loin la chaine des Pyrénées pour voir par où ils peuvent passer. Une nuit Raymond est de garde avec comme seule arme un petit pistolet (6.35mm). Il réveille son copain et partent en pleine nuit en direction de l’Espagne. Il passent par Bedous, Accous… et ils s’arrêtent un peu partout dont une épicerie où ils demandent la direction de l’Espagne au grand damne de l’épicière qui est affolée par leur imprudence car les allemands viennent à peine de sortir de son commerce et elle leur conseille de faire très attention. A l’approche des chaines des Pyrénées on leur indique une ferme à rejoindre où une brave dame dont les enfants sont déjà parti en Espagne leur indique le chemin à suivre et leur précise que quand ils verront trois lacs ils seront quasiment arrivés. Raymond nous explique qu’ils n’ont jamais vu les 3 lacs car il neigeait, les lacs étaient gelés, tout était blanc recouvert de neige. Pour les aider elle leur donne deux grands bâtons de berger d’une hauteur de 2 mètres environs et qui leur seront bien utiles. Ils partent seul, sans guide, dans la montagne au petit bonheur la chance. Ils se rendent rapidement compte qu’avec le manteau neigeux ils s’enfoncent profondément ce qui rend la progression très difficile. Ils trouvent rapidement la solution en attendant minuit, une heure du matin pour grimper lorsque la neige est gelé. Arrivée en haut ils descendent sur les fesses les pentes avec le bâton sous le bras qui sert de gouvernail. La journée il patiente en bas des cols à franchir pour reprendre des forces et attendre la nuit suivante. Ils vont mettre 3 jours pour franchir les 3 rangées de la chaîne des Pyrénées.

Pour l’anecdote lors de ce périple ils marchent dans les traces d’un ours et pour se donner du courage Raymond prévoit d’utiliser son petit révolver contre lui si jamais ils tombent nez à nez avec lui en sachant qu’il n’y a aucune change d’arrêter un animal de cette taille avec un si petit pistolet. Heureusement ils ne verront jamais l’ours et de plus au cours d’une descente ils perdent l’arme avec 2 pommes de terre qui devaient leur servir de vivre.

Le périple de Raymond et Fred de Lourdes à Gibraltar – carte klm127.

Le 20 mars 1944, il distingue au loin un bâtiment et ils savent qu’ils sont proche de la frontière espagnole. Il s’agit d’un bâtiment des ponts et chaussées espagnols avec 2 gendarmes de la Guardia Civil qui les accueillent : à midi ils sont enfin en Espagne et à midi et demi ils sont en prison! Le seul côté positif est qu’ils reçoivent à manger car ils n’avaient plus rien à manger (ils avaient récupéré dans du crottin de cheval des peaux d’orange qu’ils ont lavés puis mangés lors de leur franchissement). De là ils sont transférés à la prison de Canfranc, puis à Jaca où ils sont tondus, puis à la prison centrale de Saragosse avec des prisonniers de droit commun (ils sont 7 ou 8 dans une cellule de 3m sur 3 avec juste un robinet et un trou dans un mur pour faire leurs besoins). Raymond se souvient que dans cette prison les espagnoles exécutaient encore tous les jours des prisonniers républicains. A Saragosse ils sont pris en charge une dizaine de jours par la Croix Rouge qui leur donne un peu d’argent, des habits puis sont remis dans un train et arrivent à Miranda où par chance ils ne restent que deux jours (Raymond prend la nationalité canadienne change de nom et se vieillit de deux ans…il gardera cette fausse identité jusqu’à son mariage fin 1948). Via la Croix Rouge, ils se retrouvent avec ceux aptes pour le service militaire et partent à Molinar de Carranza à côté de Bilbao , où ils sont très bien traités. De là Raymond et son camarade Fred rejoignent Madrid puis direction Gibraltar où ils deviennent des sujets britanniques pour une journée (grâce à la Croix Rouge) pour pouvoir entrer dans Gibraltar.

D’espagne, via la Croix Rouge, Raymond (J3) et Fred(gauloise bleue) font parvenir à Saint-Dié un message pour rassurer leurs proches dont la future épouse de Raymond :

« J3 et Gauloise bleue sont bien arrivés »

Le « Marrakech » – source internet et colorisation klm127.

A Gibraltar il monte sur le bateau français « Marrakech » où plusieurs hommes sont arrêtés et menottés suite aux enquêtes menées par les forces françaises pendant leur séjour en Espagne. Ils débarquent à Casablanca au Maroc et sont transférés au Camp de Mediouna (à environ 10 km au sud-est de Casablanca) où Raymond nous raconte qu’il y avait des tables avec des sergents recruteurs qui cherchent à attirer dans leurs unités : « engager vous dans l’armée de l’air, dans les paras »… »engagez vous dans la Marine »… »Engagez-vous dans… ». Raymond est obnubilé par la casquette des aviateurs et c’est pourquoi il choisi le 17 mai 1944 de s’engager pour la durée de la guerre dans l’Armée de l’Air au titre du dépôt d’aviation n°209 de Casablanca. Il souhaite devenir pilote mais il est recalé à la visite médicale en raison de son daltonisme. Il se retrouve à Ben m’sik en banlieue de Casablanca au dépôt de l’aviation où il attend une nouvelle affectation jusqu’à ce qu’il croise un soldat avec l’insigne des troupes parachutistes qui lui indique que s’il veut les rejoindre il doit se rendre à Baraki près d’Alger.

Le soir même Raymond prend son sac, le train avec lequel il met 3 jours de Casablanca à Alger (son copain Fred GRI à rejoint les Commandos de France). Arrivé à Baraki, il s’installe dans un ancien camp militaire où ils sont à 40 dans une chambre. Deux choix se présente à lui : rejoindre le 3ème BIA en Angleterre (3e bataillon d’infanterie de l’air qui devient le 3e régiment de chasseurs parachutistes)mais pas avant 2/3 mois le temps de constituer un convoi ou alors le 1er RCP (1er Régiment de Chasseurs Parachutistes) en Italie. Raymond nous raconte qu’il a été influencé par son choix par 2 dessins sur deux murs : un avec un para du 3ème BIA avec des toiles d’araignées et un autre avec un para du 1er RCP pimpant en pleine forme… »c’est là que je veux aller! » s’exclame Raymond.

Le parcours de Raymond de Gibraltar à Baraki – carte klm127.

Il est envoyé à la base aérienne n°320 à Alger où il est rhabillé des pieds à la tête. De là il part en bateau d’Alger le 7 juillet 1944 et débarque le 9 à Naples puis rejoint Rome en camion où il nous dit qu’il fera « deux mois de tourisme ». Il est affecté à la 2ème Cie (dont la devise est « Pas moyen, moyen quand même ») du 1er RCP qui est la compagnie des services administratifs et logistiques du régiment. Elle est commandée par le Capitaine Bastouil (brevet parachutiste n°13). Raymond se souvient également de deux adjudant; l’un qui lui faisait peur « une vraie peau de vache » l’adjudant Marchal et un deuxième qui s’occupait de l’armement et qui avant un penchant pour la bouteille (l’adjudant Leroux).

Alger…Naples…Rome…Valence…- carte klm127.

Raymond Locci se souvient de la forte émotion et la joie qu’il a ressenti début septembre à l’annonce du départ pour la France et sa libération. En deux vagues d’avions le régiment décolle de Rome et atterrit à Valence. Quand Raymond descend de l’avion dans lequel il était le 3 septembre 1944 , le premier homme qu’il voit, est un très bon copain de Saint-Dié (Reiss?) qui était engagé dans le maquis du Vercors. Toutes les compagnies se regroupent et le régiment intègre l’Armée B qui devient la Première Armée Française du général de Lattre.

Raymond et ses camarades montent dans des camions et se dirigent vers Rupt-sur-Moselle où débute pour Raymond la campagne des Vosges. Il se souvient de l’audacieuse manoeuvre du Commandant Faure validé par le colonel Geille : dans un silence absolu toutes les compagnies, les unes derrière les autres, vont progresser en colonne par un, dans une nuit si noire que chaque homme doit tenir le précédent pas sa musette sac à dos) afin d’atteindre le col du Morbieu sans être détecté par les allemands qui tiennent de part et d’autres de toutes les crêtes. Le régiment forme ainsi une gigantesque file indienne, s’infiltre dans le plus grand silence le dispositif ennemi et parcourt plus de 8 kms pour arriver à l’aube au plus près du col du Morbieu.

colonne de ravitaillement avec des mulets – source internet.

Du 4 au 21 octobre les combats seront intenses et les hommes du 1er RCP vont se battre comme des lions face à un adversaire redoutable qui ne lâche rien. Raymond pense que sa première expérience au feu était dans le secteur de la forêt du Gehan où il a pour mission de transporter, à l’aide de brêles (surnommé humoristiquement par les hommes du 1er RCP « Le Royal Brêle Force » référence à la Royale Air Force britannique) des munitions ou vivres à travers les chemins tortueux des montagnes des Vosges, pour livrer sa précieuse cargaison à ses camarades en contact direct avec l’ennemi, sous un déluge d’artillerie (surtout des obus de mortier) et une pluie continue qui ne facilite pas la tâche aux combattants.

Pour l’anecdote Raymond se souvient qu’à peine qu’ il avait creusé un trou pour s’abriter, dix minutes après il y avait déjà 10 cm d’eau au fond. Raymond en tant que grenadier voltigeur équipé d’un fusil Garand participe à toute la campagne des Vosges. Il se blesse à la main (coupure) en plongeant au sol lors d’un tir d’artillerie adverse et il est soigné à Travexin où le poste de secours se trouve à l’école. Une fois pansé, il rejoint ses camarades pour poursuivre le combat dans la forêt du Gehan. Le 21 octobre 1944 le 1er Bataillon dont fait parti la 2ème compagnie quitte Travexin pour rejoindre Saulx-de-Vesoul puis début novembre Lons-le Saulnier pour un repos bien mérité.

carte extraite du livre « 1 RCP – témoignages pour l’Histoire »

La percée des hommes du 1er RCP à travers le dispositif allemand dans le massif des Vosges résonne des noms des lieux ( Ferdrupt – col du Morbieu – forêt du Gehan, tête du Midi – le ménil – côte 1008 – col du Ménil – côte 1111 ) où ils vont se battre héroïquement dans des conditions matériels, climatiques très difficiles et face à un adversaire en surnombre du 2 au 22 octobre 1944 au prix de lourdes pertes : 129 tués et 339 blessés. Devant les pertes subies par l’ensemble de la 1ère Armée dans les Vosges le général de Lattre décide d’abandonner l’offensive dans ce secteur pour accentuer ses efforts dans la trouée de Belfort qui permettra de libérer Mulhouse le 21 novembre 1944.

Le régiment est dirigé sur l’Alsace le 7 décembre 1944 itinéraire Besançon -Luxeuil – Plombières – Remiremont – St Dié – vallée de la Bruche – Gerstheim) et Raymond traverse en camion Saint-Dié où il salut plusieurs gars qu’il connait qui marche en bord de route mais ils ne le reconnaissent pas sous son casque et son équipement militaire.

Le 1er RCP commence la campagne d’Alsace en étant rattaché à la 2ème Division Blindée (2ème DB) du général Leclerc qui doit fixer les troupes allemandes le long du Rhin en lançant des attaques en partant de Gerstheim (25 kms au sud de Strasbourg) vers Colmar pour permettre à la 36ème Division d’Infanterie US (36th IDUS) de déborder Colmar par le nord-est. Du 13 au 22 décembre 1944 le 1er RCP combat à Witternheim(67), Neunkirch(67), Bindernheim(67), les bois de Mayhols, Friesenheim(67)…sous un déluge de feu et d’acier.

Carte extraite de l’historique du 1er RCP de Robert Wagener.

Pour donner une idée de l’intensité des combats le 1er bataillon du 1er RCP perd plus de 200 hommes (tués ou blessés) en seulement 3 jours dont 10 officiers et 43 sous-officiers.

Le 22 décembre 1944 le 1er RCP quitte les premières lignes de ce secteur pour retourner à l’arrière.

Le 30 décembre 1944 le 1er RCP quitte Plombières, passe par Remiremont, Gérardmer, Anould, Fraize, Plainfaing, le col du Bonhomme, Le Bonhomme, Lapoutroie et Hachimette qui est atteint le jour même (1 mètre de neige sur les cols et des températures de -20 degrés). A Lapoutroie Raymond se souvient avoir trouvé un stock de skis laissé par les allemands qu’il a distribué aux habitants du village la nuit de nouvel an.

Il se souvient également avoir brûlé des bancs de l’église d’Hachimette pour se chauffer à l’intérieur de l’église. Dans la journée du 7 janvier 1945 le régiment quitte ce secteur pour se reposer à l’arrière.

Raymond se retrouve à Obernai où comme il le dit « son destin s’est joué » parce qu’il voit un Dodge sans personnel; il monte dedans car il a envie de conduire alors qu’il n’a pas le permis et il part faire un tour avec. En revenant en voulant garer le véhicule il se retrouve les « quatre fers en l’air » avec l’arrière du Dodge dans le ruisseau qui longe la route. Les cardans sont cassés; Raymond doit rentrer à pied pour rendre compte à son adjudant de sa mésaventure qui lui donne une bonne correction… « sans rancune » comme nous le dit Raymond.

Raymond quelques années plus tard au volant d’un Dodge en Indochine…mais avec l’autorisation de le conduire – photo Raymond Locci.

Comme punition il est muté à la 10ème compagnie commandé par le capitaine Le Saux avec lequel ça c’est très bien passé pour Raymond (il se souvient de certains cadres comme l’aspirant Bianchi, l’adjudant Dujourdi, le lieutenant Saale) qui est affecté à un poste de voltigeur-pourvoyeur de mitrailleuse (en plus de son fusil Garand, de ses munitions personnelles, il porte deux caisses à munition pour la mitrailleuse et aide au chargement lors des tirs). Pour l’anecdote à chaque fois que Raymond devait se mettre à plat vendre pour éviter les tirs ennemis il mettait un certain temps pour se relever en raison de toute la charge qu’il avait sur lui et qu’il devait transporter.

Suite à la contre-offensive allemande sur Strasbourg le 2ème Bataillon (Raymond avec la 10ème Cie) du 1er RCP est dépêché en urgence à Benfeld le 9 janvier 1945 où il combat à Herbsheim(67) et Rossfeld(67).

Carte extraite de l’historique du 1er RCP de Robert Wagener.

Le 15 janvier 1945, le 1er RCP est mis à la disposition du Combat Command 6 de la 5ème Division Blindée du général de Vernejoul et va participer aux terribles combats de Jebsheim du 25 au 30 janvier(76 tués et 167 blessés),

Pour arriver sur Jebsheim la 10ème compagnie va passer par Guémar où certains de ses camarades récupèrent dans le couvent des chemises blanches (des soeurs du couvent) afin d’être moins visible dans la neige (ils avaient tous des tenues kaki). Raymond se souvient d’une patrouille avec l’aspirant Bianchi dans le secteur de Jebsheim où au loin ils voient des silhouettes. L’aspirant Bianchi qui parle anglais leur demande s’ils sont américains?…A peine le temps de se baisser et les tirs sont passés au-dessus d’eux…il s’agissait d’une patrouille allemande. Les paras se sont repliés car l’adversaire était lourdement armé. Autre méprise le 25 janvier 1945 avec celle d’un chasseur-bombardier, un P47 français qui largue 2 bombes sur les positions de la 10ème compagnie et qui ne fera heureusement que 2 blessés. C’est par la vive réaction du chasseur parachutiste Lecuona qu’un deuxième avion ne largue pas ses bombes en le voyant agiter un drapeau français qu’il avait récupéré dans les décombre d’une maison à Guémar. Le 26 janvier un tir de mortier allemand qui s’abat sur la 10ème compagnie sera particulièrement meurtrier avec 7 tués et 13 blessés en quelques minutes.

Le 27 janvier Raymond et ses camarades sont « écrasés » sous les bombardement allemands et c’est ce jour-là que la guerre et la campagne d’Alsace se termine pour Raymond qui est grièvement blessé à au pied gauche et à l’épaule droite. Ils nous raconte la suite de son parcours :

« Je suis parti sur un brancard. Nous étions trois, nous n’avions pas pu creuser profondément car le sol était gelé. Celui du milieu a été tué (il s’agit du chasseur parachutiste Gérard Bapaume qui est enterré à la nécropole de Cronenbourg) et l’autre également blessé. il était 17h. Des gars m’ont récupéré en première ligne puis des ambulancières m’emmènent au centre de secours de Sainte-Marie-aux-Mines. J’entends parlé d’amputation ce qui ne me rassure pas vraiment. Le lendemain matin quand je me réveille mon premier réflexe est de tirer le drap pour vérifier que mon pieds gauche est là.. il l’était j’étais rassuré. Je reconnais une infirmière qui me reconnait car j’étais à St-Dié au préventorium où j’ai été opéré . Je lui ai demandé de prévenir ma famille, mes amis que j’étais là mais deux heures après, manque de chance, j’ai été évacué vers l’hôpital de Besançon puis à l’hôpital Purpan de Toulouse, puis dans un hospice à Pamiers avec une dizaine d’autres blessés.

Nous avons été formidablement reçu par la commune. Ne sachant pas où aller en convalescence je suis parti chez des amis au Maroc en avion, en partant du Bourget dans la soute à bombes d’un B26 où il avait installé des bancs. Après je suis rentré du Maroc et je suis arrivé le 10 juillet 1945 à Meudon où se trouvait le dépôt d’aviation n°212. J’ai assisté au défilé de mes camarades le 14 juillet et j’étais déçu de ne pouvoir y participer. Je me retrouve inapte pour continuer dans les parachutistes et je décide de me rendre au ministère de l’air. A Paris, j’ai eu une chance inouïe car dans un des couloirs du ministère un commandant me croise et il me demande ce que je fais là : je veux rejoindre mon régiment le 1er RCP qui doit partir au japon…1/4h après j’étais réaffecté au régiment. Mais arrivé au régiment à Avord, du fait de mes blessures je suis toujours inapte et je dois passer une visite médicale. J’avais constaté que sur nos papiers nous n’avions pas de photo et c’est un de mes copains qui l’a passé à ma place ..et ça a marché impeccablement. J’ai ainsi pu réintégrer la 10ème compagnie. Nous avons ensuite rejoint Pau en Train où nous avons eu quelques soucis pendant le voyage car certains gars tiraient (nous avions gardé notre armement) à partir du train sur le gibier. « 

Raymond Locci lors de sa convalescence – photo Raymond Locci.

Pour son action au combat, le chasseur parachutiste Raymond Locci est cité à l’ordre de la Brigade par le colonel Boutaud de Lavilléon commandant le CC6 : LOCCI Raymond – 2ème classe –1 RCP :

« Jeune volontaire parachutiste nouvellement affecté à la compagnie. S’est distingué dès l’abord par son courage et son sang-froid, a été blessé le 27 janvier 1945, au cours d’un bombardement sur la position tenue par le bataillon dans les bois du moulin de Jebsheim ». Cette citation comporte l’attribution de la Croix de guerre 1939-1945 avec étoile de bronze.

La citation à l’ordre de la Brigade de Raymond Locci – Capm de Pau.

Raymond Locci nous raconte quels meneurs d’hommes étaient les cadres du 1er Régiment de Chasseurs Parachutistes comme par exemple son commandant de compagnie, le capitaine Le Saux qui jamais ne s’est baissé ou couché sous les tirs d’artillerie ou la mitraille et qui calmement continuait à donner ses ordres. Il forçait l’admiration de ses hommes et de Raymond, de part son flegme, sa détermination et son courage à toutes épreuves : « on ne pouvait que le suivre et donner le meilleur de nous même! ».

Il passe avec son unité de l’armée de l’air à l’armée de terre le 01 août 1945.

Il est démobilisé le 19 décembre 1945 avec une permission libérable de 97 jours et rayé des contrôles du 1 RCP le 26-03-1946.

Il se rengage au titre du 1 RCP le 1 mai 1946 en tant que 2ème classe et il est nommé soldat de première classe le 1 octobre 1946.

Croiseur lourd Duquesne – source internet.

Il se porte volontaire pour l’Indochine et embarque à Bône, sur le croiseur Duquesne, le 23 décembre 1946.

Suite à des problèmes mécaniques le croiseur stoppe ses machines en Mer Rouge pendant 8 jours le temps d’effectuer les réparations. Raymond débarque à Haïphong le 23 janvier 1947 après un périple d’un mois.

Le 1 mai 1947 il se rengage pour 2 ans et il est nommé caporal le 1 octobre 1947.

zones de saut lors d’une opération en Indochine – photo Raymond Locci.

Il est cité à l’ordre du Régiment par le Général de Division Salan commandant les troupes françaises d’Indochine du Nord :  LOCCI Raymond – caporal – 3/1 RCP :

« Combattant d’élite aux réflexes sûrs. Parachuté une première fois à PHU TO (Tonkin) le 13-05-1947, une deuxième fois à CHO Don (Tonkin) le 8 -10- 1947 où il s’est distingué au cours d’un regroupement au sol difficile, a participé brillamment à toutes les opérations de sa compagnie en particulier à la prise du centre industriel de BAN THI où purent être appréciées ses qualités de voltigeur de pointe».

Cette citation comporte l’attribution de la Croix de guerre des TOE avec étoile de bronze. Hanoi, le 23-12-1947.

La citation à l’ordre du Régiment de Raymond Locci – Capm de Pau.

Il est nommé caporal-chef le 1 avril 1948 et embarque à Haïphong le 30 juin 1948 sur le bateau « Pasteur ».

Le Pasteur – source internet.

Il est nommé au grade de sergent sur le bateau le 1 juillet et arrive au port de Marseille le 22 juillet 1948. il rentre à Saint-Dié pour une permission de 120 jours et décide de se marier avec Paulette Patour qu’il avait rencontré à Saint-Dié en 1942. Il est mal vue par sa belle famille qui l’appelle « le Mercenaire »et qui ne veulent surtout pas qu’ils se marient. Quand Raymond arrive à Saint-Dié, il est en uniforme et il attend devant le magasin des beaux-parents : « une furie est descendue, ma future belle-mère qui me dit de rentrer pour ne pas rameuter tout le quartier! » En fin de compte ils vont pouvoir se marier, en même temps que la soeur de son épouse qui est enceinte. Mais Raymond oublie un petit détail : son état civil…car il est toujours sous sa fausse identité. Arrivé à la Mairie on leur dit que ce n’est pas possible car la date de naissance et le nom sont faux.

Les « faux papiers » de Raymond Lossi né en 1924 – passeport de Raymond Locci.

De plus Raymond étant sous-officier il doit obtenir l’accord de son chef de corps (il a oublié ce détail). Après une course contre la montre avec les services administratifs tout est en ordre et ils peuvent enfin se marier le 20 novembre 1948…car Raymond embarque à Marseille le 5 décembre pour rejoindre le 1er RCP à Sétif où il arrive le 9 décembre 1948 (sa femme restant à St-Dié).

Raymond lors d’une de ses traversées de la méditerranée – photo Raymond Locci.

Arrivé en fin de contrat en 1949 il rentre fin janvier en métropole et il est rayé des contrôle du 1er RCP le 2 mai 1949.

De retour à la vie civile il travaille avec son épouse dans le magasin de sa belle famille et monte une affaire de vente de volailles en gros. Leur famille s’agrandit avec l’arrivée de Lysianne(1950), Daniel(1951) et Corrine (1958).

Du 20 août au 16 septembre 1951, il effectue un stage de 4 semaines à l’Ecole des sous-officiers de Strasbourg. Il rentre chez lui avec le grade de sergent-chef.

Le 10 octobre 1956 il est nommé au grade de sous-lieutenant.

En octobre 1955 il souscrit un contrat de réserve active et il est rappelé à l’activité le 6 novembre 1956. il est affecté au SEPR de Nancy au titre des formations parachutistes à partir du 1er mars 1957.

Raymond Locci est titulaire du brevet parachutiste n° 12202.

« face moteur » de Raymond Locci lors d’un de ses sauts – photo Raymond Locci.

Le 1 septembre 1957 il est affecté au 11ème Bataillon de Choc à Perpignan et il rejoint avec son unité l’Afrique du Nord.

En Algérie avec son groupe de combat – photo Raymond Locci.

En fin de contrat, il embarque à Philippeville sur le bateau « Djebel Dira » le 24 mai 1958 et arrive 1 jour plus tard à Marseille. il est hospitalisé une semaine à l’Hôpital Lyautey de Strasbourg du 21 juillet au 1 août 1958 avant de rentrer à Saint-Dié le 16 août 1958.

Il est promu au grade de lieutenant de réserve le 1 octobre 1958 et au grade de capitaine de réserve le 1 octobre 1963.

Cérémonie de remise de la Légion D’honneur à Raymond Locci en 1962, signé par le Général de Gaulle – photo Raymond Locci.

Les décorations de Raymond Locci :

Officier de la Légion d’Honneur depuis le 26-04-2005

Chevalier de la Légion d’Honneur le 11-02-1962

Croix de guerre 1939-1945 avec 1 étoile de bronze

Croix de guerre des TOE avec 1 étoile de bronze

Médaille des Evadés

Médaille coloniale agrafe EO

Médaille commémorative Indochine

Médaille du combattant volontaire

En parlant avec un copain il apprend que le concessionnaire auto où il travaille son ami, cherche un vendeur. Raymond lui dit qu’il est intéressé et c’est ainsi qu’il entame une carrière de commercial dans la vente de véhicules automobiles(pendant 8 ans) pour un concessionnaire de la marque Peugeot à Saint-Dié, où il gravit tous les échelons pour accéder au poste de chef des ventes et directeur commercial (pendant 7 ans).

Raymond prend une retraite bien méritée en 1982 et en profite pour voyager à travers le monde avec son épouse (Brésil, Japon, Californie…) jusqu’au décès de celle-ci il y a trois ans.

Paulette et Raymond lors d’une croisière – photo Raymond Locchi.

Toujours très actif, Raymond Locci est présent aux commémorations des combats de la campagne des Vosges au Ménil(88) et des combats de la campagne d’Alsace à Jebsheim (68) en mémoire de tous ses camarades morts au combat ou disparus depuis et nous espérons l’y retrouver encore pendant de nombreuses années.

Le 8 mars 2025, Raymond Locci entouré de David Verlot responsable Grand est de l’amicale du 1er RCP (à droite) et Laurent Kloepfer du Musée Mémorial des combats dela poche de Colmar (à gauche) – photo David Verlot.

Nous remercions très sincèrement Monsieur Locci, pour sa disponibilité et d’avoir bien voulu répondre à nos questions, samedi 8 mars 2025, afin de pouvoir retracer son parcours exceptionnel et lui rendre l’hommage qu’il mérite pour son engagement sans faille au service de la France et de notre Liberté.

MERCI Monsieur Locci!!!

Au Mesnil – photo Raymond Locci.
A Jebsheim – photo Raymond Locci.
Au Mesnil – photo Raymond Locci.
A Jebsheim en 2017 – photo DNA.
A Jebsheim en 2024 – photo DNA.
Au Mesnil en 2024 – photo klm127.
A Jebsheim en 2025 – photo DNA.
Raymond Locci en tête de son groupe en Algérie – photo Raymond Locci.
Au SEPR de Nancy – photo Raymond Locci.
Au SEPR de Nancy – photo Raymond Locci.
Au SEPR de Nancy – photo Raymond Locci.
Raymond Locci qui saute de la tour de saut à Nancy – photo Raymond Locci.
Raymond Locci – photo Raymond Locci.
Raymond Locci nommé Chevalier dans l’Ordre National de la Légion d’Honneur signé par le Général de Gaulle le 1er février 1962 – archives Raymond Locci.
Raymond Locci nommé Officier dans l’Ordre National de la Légion d’Honneur le 25 avril 2005 – archives Raymond Locci.
Diplôme de la Médaille des Evadés de Raymond Locci – archives Raymond Locci.

G’STYR Ernest Joseph 1920 – 1945

Il est né le 2 mars 1920 à Reichshoffen (67). C’est le fils de Charles G’STYR et de Louise Garny et ils vivent à Rombas (57).

Il est incorporé de force le 26 juin 1943 dans la « Kriegsmarine allemande » à la Vorpostenflottille n° 66ème  (66.VP – 66ème flottille d’avant-poste) à Bodo en Norvège sur le « Vorpostenboot numéro V6613 » dont le nom est KFK221 « Kriegsfischkutter 221 » et qui est fait parti du Minensuchgruppe (groupe de chasseurs de mines) de la 66.VP.

Vorpostenboot – Bundesarchiv Bild 134-C2637.

Appelés par les Allemand Vorpostenboot ils ont été récupérés ou saisis en grand nombre sur les côtes allemandes et les côtes des territoires occupés. En raison du manque de « vrais » navires de guerre, plusieurs types de bateaux existants(bateaux de pêche, chalutiers, yachts…) ont été modifiés pour servir comme navire armé dans la Kriegsmarine. Ils servent dans toutes les zones côtières où la Kriegsmarine opére (patrouille, escorte, chasseur de mines et sous-marins…) et sont généralement armés avec des canons de 8,8cm et et des canons antiaériens de différents types et nombres. Les Vorpostenboot pouvaient se battre contre les vedettes et petits navires alliés qu’ils affrontaient mais ils n’étaient pas en capacité d’affronter des destroyers ou navires de guerre plus importants.

G’STYR Ernest est froidement assassiné le 8 mai 1945 le long des côtes de Bodo en Norvège, à bord du bateau V6613 par un sous-officier allemand nommé Ungerer et qui s’est par la suite suicidé pour échapper à son arrestation.

La mention « MORT POUR LA FRANCE » lui est accordée le 15 octobre 1957.

Principale villes citées.

Après-guerre dans le cadre de l’enquête de sa mort plusieurs témoins sont auditionnés :

Le 5 janvier 1946, Robert Boulanger, 27 ans, préparateur en pharmacie qui habite Montigny-les-Metz déclare au sujet de la mort d’Ernest G’STYR :

« J’ai été incorporé en son temps dans la marine de guerre allemande et affecté à la 66ème Flottille à Bodo en Norvège. Dans cette flottille j’avais comme camarade le marin G’Styr Ernet de Rombas (Moselle). Il était embarqué sur le bateau K.F.K. 6613. Lorsque je pouvais, j’allais rendre visite à mon camarade, lequel comme de nombreux « Malgré-nous » était anti-nazi. Un jour, G’Styr m’a laissé entendre que de part ses sentiments anti-allemands, il était mal vu de son commandant de bateau et de la plupart de l’équipage. G’Styr m’a ensuite ajouté, qu’un jour, UNGERER lui avait dit que si l’Allemagne capitulait, il lui, tirerait une balle dans la tête. Le 8 mai, j’ai appris incidemment qu’un meurtre avait été commis à bord du bateau K.F.K.221 (Kriegsfischkutter 221 – navire de pêche transformé en navire de combat) et que la victime en avait été mon pauvre camarade G’Styr. Avec un autre camarade du nom de Schambert, domicilié à Amnéville (Moselle) nous nous sommes livrés à une petite enquête et nous avons appris que le matin G’Styr, avait été tué en mer par l’Obersteueurmann Ungerer, lequel lui avait tiré une balle dans la nuque et que le corps avait été balancé par-dessus bord. Schambert et moi, avons fait un rapport de ces faits aux autorités alliées de Trondheim (Norvège), le 13 juillet 1945, ainsi qu’au vice-consul français de cette ville, Monsieur Klingenberger. Enfin le 1er août 1945, alors que j’étais prisonnier au camp français de Malvik (Norvège), j’ai été cité devant le capitaine américain Mooris au sujet des faits relatés plus hauts. Avec les renseignements fournis par Schambert, par moi-même et par deux autres marins de la Flottille 66 ; le capitaine Mooris procéda à l’arrestation meurtrier Ungerer. Cette arrestation a été opérée le 5 août 1945, dans le port de Trondheim. Ungerer, je ne sais comment réussit à sortir un révolver de sa poche et s’est tiré une balle dans la tête. Il devait succomber une heure plus tard à sa blessure. Je certifie que Ungerer est bien mort. Un rapport a d’ailleurs été établi e son temps à ce sujet.

Nul doute n’est possible que G’Styr a été assassiné par son commandant de bateau parce que bon français. La menace qu’il prenait à la légère d’être tué en cas de capitulation allemande s’est réalisée. Je ne puis vous dire si Ungerer a agi de sa propre initiative ou s’il en avait sollicité au préalable, l’autorisation du chef hiérarchique, le capitaine-Lieutenant-ingénieur Busch ».

Dans une lettre du 2 novembre 1945, Robert Boulanger précise :

 «Voilà exactement les faits concernant la mort de Ernest G’Styr, assassiné pour avoir été trop fidèle à sa patrie la France, malgré l’uniforme allemand qu’il portait (Malgré-lui)

Le 28 décembre 1945 la gendarmerie de Rombas(57) prend la déposition de Gustave Schamber, 25 ans, accrocheur habitant Amnéville (Moselle) :

« En décembre 1943 je me trouvais à Waren-Muritz en Allemagne où je faisais un cours de signalement. Dans ce pays j’ai fait la connaissance du marin G’Styr Ernest de Rombas. Attendus que nous étions tous deux de la même région nous sommes devenus de bons amis. Par la suite mon camarade a été affecté au garde côte 6613 de la 66ème Flottille stationnée à Bodo en Norvège. Moi-même j’ai été affecté sur le garde côte 6606, ayant le même port d’attache. Pendant nos heures de loisirs nous nous rendions visite le plus souvent possible. G’Styr qui était resté un fervent serviteur de la cause française avait très souvent des discussions avec le Obersteuermann Ungerer, lequel faisait fonction de commandant du bâtiment 6613 s’appelant aussi K.F.K.13. G’Styr faisait comprendre à ce nazi que l’Allemagne ne gagnerait pas la guerre. A noël 1944, à la suite d’une discussion Ungerer à dit à G ‘Styr : « si jamais nous perdons la guerre, je vous envoie une balle dans la tête le jour de la capitulation ». C’st G’Styr qui a répété ces propos et il n’a pas pris cette menace au sérieux. Le 7 mai 1945 à 18 heures j’ai vu mon camarade pour la dernière fois. Durant notre conversation qui a été très courte, il a dit : « il est temps que je puisse quitter le bâtiment pour retourner chez moi car je ne peux plus supporter mon entourage ».

Le 8 mai 1945 de très bonne heure, le 6613 est sorti en mer pour soi-disant faire un réglage des machines. A 10 heures j’ai vu ce bâtiment rentrer au port. Je suis allé à bord pour rendre visite à mon camarade. Ne le trouvant pas j’ai demandé après lui auprès de plusieurs hommes de l’équipage. Ils ont répondu, il doit être quelque part dans le bateau. Mes nouvelles recherches sont restées vaines. Je m’apprêtais à quitter le bâtiment lorsque j’ai été interpellé par le cuisinier, un allemand du nom de Presinski Gustave qui m’a invité à le suivre à la cuisine. Il a dit : « je dois t’apprendre une chose malheureuse, G’Styr a été tué par Ungerer ». Le cuisinier me recommanda de ne rien dire à personne, vu qu’à bord tout l’équipage avait reçu l’ordre de se taire. En conséquence je n’ai pu apprendre les motifs de l’assassinat. Le même jour vers 15 heures, j’ai appris que Ungerer était allé trouver le 7 mai à 24 heures, le commandant de la flottille 66, un nommé Bursch, afin d’avoir la permission de tuer G’Styr. Je n’ai pu savoir si cette permission lui a été accordée.

Deux semaines plus tard Prezinski a dit que mon camarade avait été jeté à la mer (à six milles environ du port de Bodo) après avoir été tué. Par la suite, fait prisonnier et interné au camp français de Malvik(Norvège) au début du mois d’août j’ai, avec deux camarades lorrains également témoins, les nommés Boulanger Robert et Lustemberger Aloïs porté plainte auprès  d’un capitaine de l’armée américaine du tribunal militaire de Trondheim(Norvège). Huit jours plus tard, j’ai appris que Ungerer s’était fait justice lui-même en se tirant une balle dans la tête au moment de son arrestation. J’ai vu des photographies du cadavre de Ungerer. Je l’ai formellement reconnu et il ne fait aucun doute que cet assassin est aujourd’hui mort.

Un capitaine français nous a donné connaissance du résultat de l’enquête effectuée auprès de l’équipage du V6613. Il résulte que le jour de l’exécution G’Styr a eu une violente discussion avec son commandant. Au cours de cette discussion, le commandant a tiré une balle de révolver qui ne fit que percer les vêtements de G’Styr. Celui-ci se retira à l’arrière du vaisseau et là ; il fut abattu d’une balle dans la tête. Dans la vie civile Ungerer a été un agent de la gestapo, fait connu de G’Styr attendu qu’il était son ordonnance. A mon avis Ungerer a fait disparaître mon camarade parce qu’il avait peur que ce dernier le dénonce aux autorités compétentes à la première occasion ».

KFK = Kriegsfischkutter

VP = Vorpostenflottille

En complément d’informations :

https://archeosousmarine.net/chalutiers.php

https://www.wlb-stuttgart.de/seekrieg/km/vboote/vfl63-68.htm

Lettre complète du 2 novembre 1945 de Robert Boulanger :

Source : dossier AC21P219504/301796 du Service Historique de la Défense de Caen.

GRISSMER YVONNE 1925 –  1944

Elle est née le 18 mars 1925 à Strasbourg (67) et grandit dans le village de Bischheim(67) où habitent ses parents.

Elle est la fille de Charles Grissmer et de Marie Kaufeld son épouse.

Célibataire, elle vit chez ses parents au 10 rue de l’étoile à Bischheim.

Après l’annexion de l’Alsace par les nazis elle doit changer de prénom (Yvonne étant « trop français »)  par celui d’Erika ( dans le cadre de la germanisation forcée de la population alsacienne, tous les prénoms français qui n’avaient pas d’équivalence en allemand devaient obligatoirement être remplacés par un prénom germanique issu d’une liste de prénoms pré-sélectionnés).

Elles est incorporée de force dans la marine allemande « Kriegsmarine » le 5 mai 1944 et doit se rendre, comme « Marinehelferin » (aide-marinière) à Kiel qui est un grand port maritime sur les bords de la mer Baltique.

Le  20 novembre 1944 elle donne pour la dernière fois de ses nouvelles à ses parents, de Osehhof-Gottenhafen en Pologne et non en Allemagne comme indiqué dans le dossier (Gotenhafen = aujourd’hui ville de Gdynia en Pologne).

Bischheim…Kiel…Gotenhafen…

C’est la date du 20 novembre 1944  qui est retenue dans son acte de décès…elle avait 19 ans.

Elle a très certainement sombré avec le navire sur lequel elle se trouvait (à cette période de nombreux navires allemands sont coulés par l’aviation alliés ou les sous-marins russes le long des côtes de la mer du Nord et Baltique).

En date du 29 mars 1960 dans une déposition faite à la gendarmerie de Schiltigheim (dans le cadre de l’étude des dossiers des incorporés de force par l ministère des anciens combattants) son père déclare :

« Ma fille Grissmer Yvonne a été incorporée de force dans la marine allemande en 1944. Depuis la date de son départ, elle n’est pas reparue à notre domicile. Sa dernière lettre en date du 20 novembre 1944 était de Osehhof-Gottenhafen en Allemagne (Gotenhafen = aujourd’hui ville de Gdynia en Pologne . Je sais que mon enfant se trouvait sur un bateau. Elle se trouvait avec une jeune fille de Strasbourg-Robertsau dont j’ignore le nom et l’adresse. C’est tout ce que je puis vous dire concernant ma fille ».

Le même jour la gendarmerie interroge deux autres témoins :

Joseph Lehmann, 50 ans , peintre qui habite également 10 rue de l’étoile à Bischheim et il déclare :

« Grissmer Yvonne, était une voisine. En 1944 elle a été incorporée de force dans l’armée allemande. Je ne sais pas ce qu’elle est devenue. De toute façon, elle n’est pas reparue au domicile paternel. Je puis certifier que cette jeune fille n’était pas volontaire pour servir la cause allemande et que si elle est partie c’est bien sous l’emprise de la contrainte ».

Charles Erb, 54 ans, secrétaire de mairie de Bischheim qui déclare :

« J’ai bien connu la jeune Grissmer Yvonne, qui est née le 18 mars 1925 à Strasbourg. Elle a été incorporée de force dans la marine allemande en 1944. Elle n’est jamais reparue au domicile de ses parents qui demeurent dans notre commune, au 10 rue de l’étoile. Cette famille avait toujours des sentiments francophiles » .

Par jugement du 7 juillet 1960 du tribunal de Strasbourg, il lui est décernée la mention « MORT POUR LA FRANCE ».

Merci à Claude Herold pour ses recherches et le partage des informations et documents trouvés.

Source : dossier AC21P219193/323312AL du Service Historique de la Défense de Caen – Mémoire des Hommes.

Sanitäter de la 716.Infanterie-Division

Ce sous-officier affilié à une Sanitätskompanie(Compagnie sanitaire) a la charge de fournir les premiers soins à ses camarades sur le champ de bataille.

Il est vêtu d’une chasuble et d’un brassard à croix rouge permettant d’identifier son rôle de soignant auprès des soldats de sa division et des forces adverses.

Il emporte avec lui deux gourdes de 1 litre à destination des blessés, ainsi que deux sacoches en cuir au ceinturon et une caisse métallique pour transporter son matériel de premier secours.

Ainsi qu’un brancard pour transporter les soldats les plus grièvement blessés.

Comme dans chaque division de la Wehrmacht, l’organisation des unités médicales est essentielle pour assurer le soutien sanitaire aux troupes en campagne.

Ces unités étaient responsables des premiers soins, de l’évacuation des blessés et de leur traitement initial avant un éventuel transfert vers des hôpitaux de campagne plus éloignés.

L’Organisation générale de ces unités sanitaires est la suivante :

1. Sanitätsdienst (Service de santé divisionnaire) :

Chaque division de la Wehrmacht dispose d’un Sanitätsdienst, dirigé par un Divisionsarzt (médecin-chef de division), un officier supérieur du service de santé.

2. Sanitätskompanie (Compagnie sanitaire) :

Chaque division a généralement deux Sanitätskompanien, qui sont des unités de soins avancées chargées de :

Fournir les premiers secours aux blessés sur le champ de bataille.

Mettre en place des postes de secours avancés (Hauptverbandplätze) situés à quelques kilomètres du front.

Organiser l’évacuation des blessés vers des structures médicales arrière.

3. Krankenkraftwagenzüge (Sections d’ambulances) :

Ces unités motorisées sont équipées de Krankenkraftwagen (ambulances) pour transporter les blessés des postes de secours vers les hôpitaux de campagne ou les points de transfert ferroviaires.

4. Feldlazarett (Hôpital de campagne) :

Situé plus en arrière du front par sécurité, il sert à traiter les blessés graves et les stabiliser avant leur transfert vers un hôpital permanent.

Un Feldlazarett peut être organisé sous tentes ou dans des bâtiments réquisitionnés.

5. Krankensammelstellen (Points de rassemblement des blessés) :

Zones où les blessés légers peuvent être soignés rapidement et éventuellement renvoyés en service, tandis que les cas graves sont envoyés vers l’arrière.

6. Veterinärdienst (Service vétérinaire) :

Chargé du soin des chevaux qui sont indispensables au transport du matériel, vivres, muntions… dans les unités d’infanterie et d’artillerie de l’armée allemande.

Comprend un Tierarzt (vétérinaire militaire) et un Pferdelazarett (hôpital pour chevaux).

Soutien médical complémentaire :

En plus des unités sanitaires divisionnaires, des hôpitaux d’évacuation (Evakuierungslazarette) et des hôpitaux militaires permanents (Kriegslazarette) existent en zone arrière et sont souvent reliés aux réseaux ferroviaires pour l’évacuation des blessés vers l’Allemagne.

Cette structure permet à la Wehrmacht de gérer efficacement les soins de ses soldats blessés tout en maintenant son effort de guerre.

Sources :

  « Handbook on German Military Forces » (TM-E 30-451, publié par l’US War Department en 1945) – Ce manuel détaillé décrit l’organisation et la structure des unités médicales allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale.

  « Die deutsche Wehrmacht 1939–1945 » de Wolfgang Fleischer – Une analyse de l’organisation et du fonctionnement des différentes branches de la Wehrmacht, y compris les services médicaux.

  « Sanitätsdienst der Wehrmacht » – Divers documents et archives disponibles dans les archives militaires allemandes ou via des sites spécialisés sur l’histoire militaire comme Lexikon der Wehrmacht (www.lexikon-der-wehrmacht.de).

 « Kranken- und Verwundetentransport im Zweiten Weltkrieg«  de Karl-Heinz Parschalk – Une étude approfondie sur le transport des blessés dans l’armée allemande.

Schwere Panzerjäger-Abteilung 654

Vétéran allemand du front russe (combat depuis 1941), au grade de Lieutenant :

chef de char appartenant à la Schwere Panzerjäger-Abteilung 654, unité blindée équipée de chasseurs de chars de 45 tonnes « Jagdpanther » Sd.Kfz.173″ – Alsace, novembre 1944.

Opération dans la Forêt de la Hardt, Jagdpanther du Hauptmann Lüders -source the combat History of SPA 654 de karlheinz Münch.

Il porte une tenue en drap entièrement noire, pratique pour ces hommes qui doivent entrer, se mouvoir à l’intérieur et sortir de l’espace très cloisonné du panzer, parfois très rapidement quand la situation l’exige.

Un véhicule blindé de ce type est inévitablement huileux, sale et plus ou moins poussiéreux, expliquant aisément le choix de la couleur noire pour cette tenue.

La veste croisée (Feldjack) porte comme attributs des pattes d’épaules bordées de rose (couleur d’arme des Panzertruppen allemandes) et des pattes de collet, elles aussi aux couleurs de l’arme avec la fameuse tête de mort (cette tête de mort est directement inspirée du Husaren-Regiment Nr.5 « von Ruesch » de Frédéric le Grand datant du milieu du 18 siècle).

Rubans de décorations et autres distinctions sont épinglées sur le coté gauche du blouson :

– Bandspange EK2 und KVK(Kriegsverdienstkreuz) mit schwerter.

– Croix de Fer 1ère Classe (EKI)

– Panzerkampfabzeichen « argent » (insigne de combats des blindés).

– Verwundetenabzeichen « argent » (insigne des blessés pour avoir été blessé 3 ou 4 fois au combat ou gravement atteint).

Le pantalon (Feldhose) est quand à lui de la même texture que la veste, avec des lacets de serrage en bas des jambes.

Le calot porté par cet officier est orné sur tout le pourtour du rabat d’un petit galon d’argent.

Un pistolet du modèle P38 logé dans son étui en cuir est porté sur le ceinturon avec boucle dite à ardillons.

Les écouteurs radio et laryngophone font parties des équipements de bord.

3 décembre 1944 secteur du pont-du-Bouc près de Rixheim- source the combat History of SPA 654 de karlheinz Münch.
Jagdpanther n°131 – source the combat History of SPA 654 de karlheinz Münch.

57 mm M1 Anti-Tank Gun

source : internet WW2 US Archives.

Edgar Louis Jackson 1918 – 1998

Edgar Louis Jackson – photo Jackson family.

Edgar Louis was born on December 7, 1918 in Hopkins County, Kentucky.

His first name was Edgar, like his father’s, and to avoid confusion everyone called him Louis.

He completed high school.

His main hobby was hunting squirrels, doves, rabbits and quail.

Before the war, he was a farmer in Slaughters, Ky. USA.

His service records, like millions of others, were destroyed in a building fire at the National Personnel Records Center (NPRC) in St. Louis, Missouri, on July 12, 1973. 

He didn’t talk much about what he’d accomplished during the war, but his son Bobby knows that after being drafted he was first sent to the Pacific to protect airstrips in Alaska, in the Aleutian Islands.

His tissue patch from Alaskan Defense Command (ADC) – photo Jackson family.

He later joined the 75th IDUS (we don’t know when) and was sent to fight in Europe.

« Route of the Fighting 75th Division – december 1944 to may 1945 ».

His whereabouts during this period are not known (Normandy? Ardennes? Alsace? Germany?).

He ended the war as Staff Sergeant.

Honor roll of Edgar Louis Jackson- photo Jackson family.

After 52 months in different theaters of operation, he was demobilized and returned to his native Kentucky to pursue his life as a farmer.

Before the war, he had a relationship with Mary Lee Grisham.  After the end of the war and his return to the United States, they were married on October 6, 1945.

Mary Lee – photo Jackson family.

Mary Lee took part in the war effort, working in the « Sunbeam Munitions Factory » (Chrysler’s Evansville auto-assembly plant converted to ammunition production) in Evansville, Indiana.

The couple had the joy of enlarging their family with the birth of Kitty June Jackson in December 1946 and Bobby Gene Jackson in June 1952.

Louis and Mary Lee with all 3 grandchildren – photo Jackson family.

Edgar Louis Jackson died on June 8, 1998 at the age of 80, after surviving for several years the removal of a lung due to tobacco cancer.

He is buried at the New Salem Methodist Church Cemetery in Jewel City, Hopkins County, Kentucky.

Mary Lee Grisham Jackson, his wife, was born on August 23, 1921 in Webster County, Kentucky.

Mary Lee watched the Kentucky basketball games on TV and she did cheer for the wildcats and boo the opponents. She participated with a group of Methodist women at Onton Methodist church who met weekly and made quilts for people for the money given to the church.

At 99 bd party with quilters cake – photo Jackson family.

She lived in her home (which she and Edgar had built after the war) until the last two months of her life, when she moved into a nursing home.

Right to left : Kitty Jackson Simpson, Bobby Jackson, Carole Ramsey Jackson (Bobby’s spouse), Eric Simpson (Kitty’s spouse) – photo Jackson family.

She died on September 15, 2022 at the age of 101 in Madisonville, Hopkins County, Kentucky.

After her death, her son Bobby and his sister Kitty, while cleaning out their late parents’ house, found in a cedar chest a packet of love letters that their father Edgar had sent to Mary Lee during the Second World War, and which she had treasured.

Thank you Edgar and Mary Lee for your dedication and contribution to the liberation of countries under the Nazi domination…we won’t forget you!

Mary Lee & Louis – photo Jackson family.
Louis and Mary Lee in 1988 – photo Jackson family.