Frédéric Georges REINHARDT 1901 – 1964

Frédéric Georges Reinhardt est né le 24 octobre 1901 à Ingwiller (67).
Il a une sœur ainée Rika, née en 1899 et un frère cadet Robert né en 1905. Son père, Fritz Reinhardt originaire d’Ingwiller également est entrepreneur en bâtiment et il est marié à Marie Ehretsmann, originaire d’Hunawihr (68). Sa mère décède en septembre 1907 des suites de la tuberculose et son père six mois plus tard en février 1908, de chagrin d’après les souvenirs de la famille.
En moins d’un an, les trois enfants du couple se retrouvent orphelins et sont élevés par leur grand-mère et leur grande tante paternelle qui tenaient une mercerie à Ingwiller. Frédéric passe toute son enfance à Ingwiller.

Il effectue un apprentissage de quincaillier vers 1920 dans un établissement Strasbourgeois situé près de la place Gutenberg puis Il part travailler en région parisienne à Rueil, avant de se diriger dans le pays de Montbéliard pour un nouvel emploi chez BERNARD & MEGNIN qui était une quincaillerie.

A 18 ans il termine 1er au Tour d’Ingwiller(67), et remporte une coupe précieusement conservée par sa famille. Il va participer par la suite à de nombreuses autres compétitions.

Très sportif, il pratique entre autre la gymnastique et l’aviron lorsqu’il est à Rueil.


Etant de la classe 1921 il est incorporé à compter du 5 avril 1921 et rejoint le dépôt des équipages de la flotte à Lorient le 20 mai 1921.


Le H149 est mis sur cale en 1917 dans les chantiers de Howaldtswerke à Kiel. Il est lancé le 13 mars 1918, et ne sera terminé qu’en 1920, pour être intégré le 20 juillet 1920 à Cherbourg ,il prend le nom de Delage (il est rayé en 1933 et démoli en 1935 à Toulon) – fonds Reinhardt-Meyer.
Il termine son service militaire le 1 avril 1923 et il est renvoyé dans ses foyers le 25 avril 1923 (un certificat de bonne conduite lui est accordé pour la durée de son service).

Le 20 juin 1923 il est affecté comme réserviste.

Le 1 février 1927 il est rattaché au Centre Mobilisateur (CM) n°201 de Chasseurs. Le 6 décembre 1934 il est rattaché à la subdivision de Sélestat suite à son changement de domicile (habite Barr). A compter du 1 novembre 1937 il est nommé caporal, puis le 15 octobre 1938 caporal-chef.

Il a un petit cousin Roland Bloch dont il est le parrain (il a 22 ans de plus que lui en raison d’un décalage de génération). Ce filleul habitant Barr(67), il va régulièrement lui rendre visite et c’est très certainement lors de ses séjours à Barr qu’il fait la connaissance de sa future épouse, Berthe Willm qui est née le 26 octobre 1901 et qui habite Barr également. Ils se marient en 1927 et ont la joie de donner naissance à leur fille unique Marie-Madeleine Christiane née le 24 décembre 1930, que tout le monde appelle Marlène.
De 1927 à 1940, Frédéric et sa famille habitent Barr(67) et il travaille au sein de l’entreprise Willm connue à l’époque pour sa production d’escargots et ses vins du même nom.

A cette époque il est encore relativement rare qu’un orphelin comme Frédéric, sans bien particulier, puisse épouser une femme venant d’une famille « aisée » et c’est très certainement lié au fait que Frédéric s’entendait très bien avec son beau-père qui était le créateur de la société Willm. Tous les deux ont cette envie d’entreprendre qui les réunit. Tout au long se vie, avant et après guerre, Frédéric a toujours eu un esprit d’entreprise et d’innovation. Il dépose un brevet dans les années trente pour la création d’un objet intitulé « l’étend miel » (qui est resté confidentiel) et encore d’autres brevets.

Il effectue 2 périodes de mobilisation à Mutzig(67); la première en 1938 et pour la deuxième il est rappelé en 1939 : Il est rappelé le 11 avril 1939 au CM Infanterie n°202 et renvoyé dans ses foyers le 19 avril 1939. Nommé sergent de réserve à compter du 20 mars 1939. Suite aux évènements de l’été 1939 et le risque d’entrée en guerre de plus en plus possible il est rappelé sous les drapeaux le 23 août 1939 et dirigé vers le 223ème Régiment d’Infanterie le 4 novembre 1939.


Pendant la « drôle de guerre » il combat avec les Corps Francs de son unité…


En juin 1940 on le retrouve dans le secteur de Rambervillers dans les Vosges, où, après la prise de la ville par les allemands, il se replie le 20 juin à Brû avec les derniers éléments du 223ème Régiment d’Infanterie.

Le 21 juin1940, à 2h du matin, le Lieutenant-Colonel Languillaume, qui commande le 223ème RI, décide d’organiser la défense du village « pour l’Honneur » malgré une défaite inéluctable à venir et la demande du maire et des villageoises de ne pas résister pour éviter des destructions inutiles. A 9h du matin les premiers éléments allemands se présentent devant la ligne de défense française et c’est le début d’intenses combats (plus de 600 obus vont tomber sur le village de midi à 19h) qui vont durer jusqu’à 19h. En fin de journée, les hommes du 223ème RI n’ont plus de munition et ne peuvent plus faire face à la dernière charge allemande qui fera encore quelques victimes de plus. A 19h15 l’ennemi rassemble tous les prisonniers en colonne par trois…la longue et douloureuse épreuve de la captivité commence! Dans ses états de service il est écrit concernant la campagne de France que Frédéric Reinhardt y participe du 4 novembre 1939 jusqu’au 25 juin 1940.

Suite à l’Armistice du 22 juin 1940, la majorité des prisonniers alsaciens et mosellans sont relâchés relativement rapidement par les autorités allemandes étant donné qu’ils les considèrent comme citoyens allemands et qu’ils souhaitent les voir rentrer au plus vite…afin de pouvoir nazifier au plus vite les populations des 3 départements (67-68-57). Frédéric, numéro de prisonnier 567, reçoit son ordre de libération du Kriegsgefangenenlager de Lunéville le 11 juillet 1940.

Entlassungsschein,
Der auf Grund Glaubhafter ausgaben als deutschstämmig erachtete Reinhardt Fritz geboren 24.10.1901 in Barr wird hiermit aus der deutschen Kriegsgefangeenschaft unter dem Vorbehalt des Widerrufes bei Festellung falscher Angaben entlassen, den 11 juli 1940. Für kommandant des Kriegsgefangeenlagers : Hauptmann Raff.
Jeder Entlassene ist verpflichtet so schnell wie möglich in seine Heimat zurückkehren und sich bei dem Ortskommandanten und dem Bürgermeister zu melden. Ausdem geraumten Gebiet stammende Entlassene haben sich bei dem nächst erreichbaren Landkommi-sar (Rückkehrer-Betreuungsstelle) zu melden zwecks Zuweisung eines vorläufigen Aufenthaltsortes. Das Betreten der geräumten Teile des elsass-lothringischen Grenzkreise nordwärts der linie Königsmachern-Hömburg-Bidingen – Bolchen – Falkenberg – Altdorf – Saaralben – Albcabshnitt – Örmingen – Enchenberg – Philippsburg – Langensullzbach – Sulz – Bischweiller – sowie dieser Orte selbst mit Ausname von Bischweiler von Süden her ist nur mit einer Ausnahmeerlaubnis eines Landkommissars zulässig. Zuwiderhandlungen gegen die vorstehenden Anweisungen werden gesetzlich bestraft.
Verpflegt bis zum 13 Juli 1940.
Certificat de libération,
Reinhardt Fritz, né le 24.10.1901 à Barr, considéré comme d’origine allemande sur la base d’informations crédibles, est par la présente libéré de la captivité allemande sous réserve de révocation en cas de constatation de fausses déclarations, le 11 juillet 1940. Fer commandant du camp de prisonniers de guerre : Hauptmann Raff.
Chaque personne libérée est tenue de rentrer chez elle le plus rapidement possible et de se présenter au commandant local et au maire. Les personnes libérées de la zone expulsée doivent se présenter au Landkommi-sar (bureau d’aide au retour) le plus proche afin de se voir attribuer un lieu de séjour provisoire. L’accès par le sud aux parties évacuées de l’arrondissement frontalier d’Alsace-Lorraine situées au nord de la ligne Königsmachern-Hömburg-Bidingen – Bolchen – Falkenberg – Altdorf – Saaralben – Albcabshnitt – Örmingen – Enchenberg – Philippsburg – Langensullzbach – Sulz – Bischweiller – ainsi qu’à ces localités elles-mêmes, à l’exception de Bischweiler, n’est autorisé que sur dérogation d’un commissaire de district. Les infractions aux instructions ci-dessus sont punies par la loi.
Ravitaillé jusqu’au 13 juillet 1940.
Très rapidement après son retour à la maison il prépare le départ de la famille de Barr pour la zone libre car pour Frédéric il est inconcevable de devoir vivre sous sous le joug nazi (il a très certainement anticipé une expulsion possible en raison de sa très forte francophilie). Toute la famille Reinhardt quitte en voiture particulière le 1er septembre 1940, la ville de Barr en prétextant un voyage à Lyon pour acheter des bouchons pour les bouteilles des vins Willm. Pour faire croire qu’il ne s’agit que d’un bref séjour, il n’y avait pas de bagages lourds et c’est ainsi que l’épouse de Frédéric habille Marlène avec le double de vêtements sur elle.

Refoulés une première fois, Frédéric et sa famille trouvent un second lieu de passage et réussissent à franchir la ligne de démarcation sains et sauf. La réelle destination de leur voyage est la ville de Pertuis dans le Vaucluse car le frère cadet (Robert) de Frédéric peut les y accueillir par le biais de sa belle-famille qui y habite.

Il est démobilisé le 5 septembre 1940 par le centre démobilisateur de Nîmes, où il s’arrête avant de rejoindre son frère à Pertuis.

Pendant un mois ils recherchent une exploitation agricole à acheter et ils vont en trouver une à l’Isle-sur-la-Sorgue dans le Vaucluse début octobre 1940.

Pour rappel le département du Vaucluse est la destination des Alsaciens expulsés de la vallée de la Bruche par les nazis et c’est ainsi qu’un certain nombre d’entre eux vont passer et séjourner à l’Isle-sur-la-Sorgue, dans leur grande maison.

Cette carte postale est antérieure à 1940 mais l’état de la maison devait être à peu près le même lorsqu’ils sont arrivés.
C’est sur la terrasse à droite de la photo que le chanoine Bornert et Frédéric avaient conversé en mangeant des cerises à l’eau de vie (se souvenait après guerre Marlène).
Leur fille Marlène, bien plus tard, a parlé à son fils Jean-François du Chanoine Bornert de Molsheim (arrêté et déporté à Dachau par la suite) ainsi que du député maire de Molsheim Henri Meck qui tous deux avaient été expulsés par les autorités allemandes.

Nous ne savons pas si Frédéric Reinhardt a eu une activité résistante dans le Vaucluse mais toujours est-il qu’en juillet 1943, la milice de Vichy débarque subitement à son domicile pour l’arrêter! …pour l’anecdote, d’un autre côté, il y a quelques années, l’un de ses petis-fils avait rencontré à Fontaine de Vaucluse un ancien résistant, qui lui avait dit que quand les résistants avaient vu débarquer ce gaillard (Frédéric) avec cet accent allemand ils s’étaient demandé s’il n’allaient pas le « flinguer » !

Par chance il n’est pas présent ce jour-là mais il va devoir se cacher et débuter alors une vie clandestine. Il passe un certain temps dans les collines avoisinantes, et il vient dans la nuit voir sa fille et son épouse. Frédéric quitte alors l’Isle-sur-la-Sorgue pour Allanche et après son départ sa femme souffrante gagne les Charentes où se trouve la sœur ainée de Frédéric. Marlène alors âgée d’à peine 13 ans reste seule dans la grande maison un certain temps avec juste comme compagnie Alphonse Hornecker et sa famille qui habitaient une maison voisine de l’exploitation agricole. La famille Hornecker avait été expulsée en 1940 (Alphonse avait parlé en mal du régime nazi dans un bistrot en 1940) et était originaire d’Urmatt. Alphonse travaillait sur l’exploitation agricole à l’Isle-sur-la-Sorgue).Par la suite la ferme sera occupée par l’armée allemande.

C’est à Allanche dans le Cantal que sa fille « Méjélé » le rejoint (C’est un jeune homme envoyé par Frédéric qui est venu chercher sa fille pour l’emmener en train jusqu’à son père. Le voyage se terminant à pied dans 20 cm de neige) mais suite à une dénonciation ils doivent partir en catastrophe et se ils se dirigent sur Grenoble. A Grenoble, Frédéric se fait faire des faux papiers pour quitter la France pendant que sa femme (qui les a rejoint) et sa fille se réfugient chez une amie , Madame Ferber qui habite à Gap où elles vont rester cachées jusqu’à sa libération le 20 août 1944, avant de retourner dans leur maison de l’Isle-sur-la-Sorgue en septembre 1944 .

Evadé de France le 24 avril 1944, Frédéric passe les Pyrénées près de Mont Louis car dans ce secteur, le frère d’un ami dentiste à Strasbourg, Monsieur Wennigger, possède une maison qui peut servir de camp de base à son départ. Il traverse difficilement à pied les Pyrénées en raison des fortes chutes de neige (et du froid) qui dans certains passages lui arrive jusqu’à la ceinture. Il réussi à franchir les cols et arrive à Gérone où il est incarcéré (comme tant d’autres courageux français dans les geôles espagnoles). Très certainement en raison de son âge, 40 ans, il est libéré très rapidement par rapport aux plus jeunes qui y sont restés des mois pour la majorité avant de pouvoir rejoindre l’Afrique du Nord..

el recluso François Georges Reynard, natural de Fleury, provincia de francia, hijo de frederico y de Maria, domiciliado de Sassenage calle de repoblavo, ha sido puesto en libertad en el dia de la fecha, en virtud de orden competente contrayendo la obligation de presentarne en el gobierno civil negoéravo fronteraf. gerona, 28 de Abril de 1944 . El director. Prison provinciale de Gérone
Le prisonnier François Georges Reynard, originaire de Fleury, province de France, fils de Frédéric et Maria, domicilié à Sassenage, rue de République, a été libéré ce jour, en vertu d’un ordre compétent, sous l’obligation de se présenter au gouvernement civil de la frontière. Gérone, 28 avril 1944. Le directeur – fonds Reinhardt-Meyer.

En Espagne il quitte Gérone et rejoint Barcelone où il loge au grand Hôtel des 4 nations avant de traverser la Méditerranée pour rejoindre l’Afrique du Nord…

…où il s’engage dans les commandos de France le 5 juin 1944.

Le 2ème Commando de France est formé le 6 juin 1944 avec un recrutement exclusif de volontaires évadés de France.
Parachuté et entraîné dans la région de Staouéli et Sidi-ferruch sous le commandement des capitaines Tersarkissof et Villaumé.

Il est nommé au grade de sergent-chef le 1 juillet 1944.
Frédéric Reinhard obtient officiellement le brevet para US le 25 août 1944 et son attestation est signée de la main même du Lieutenant-Colonel Gambiez, commandant du Bataillon de Choc et des Commandos de France.

Pour cela il a effectué les 21 et 22 juin 1944 les 4 sauts règlementaires à ouverture automatique.

Le 24 septembre 1944 Frédéric Reinhardt par le biais de la Croix Rouge envoi un message (qui lui a coûté 8 francs) à sa femme et sa fille pour leur donner de ses nouvelles :
« Mes bien chères. Je suis en Afrique depuis le 27 mai 1944 et me porte très bien. J’espère que vous êtes toutes deux en bonne santé et que vous avez rejoint l’Isle. Je me suis engagé pour la durée de la guerre et j’espère de bientôt venir en France pour vous revoir. Comment cela marche à Sorguette? Avez-vous des nouvelles de Barr? Bon baisers »

Le 2 octobre 1944 « Fred » écrit d’Alger une lettre à sa femme et sa fille et s’inquiète de ne pas avoir de leurs nouvelles ni réponse à ses 2 premiers plis. On y apprend qu’il a bien traversé la frontière espagnole mais avec beaucoup de peine. Il arrive le 27 mai 1944 à Casablanca où il s’est immédiatement engagé dans les bataillons de Choc où quelques jours plus tard sont créés les Commandos de France. Selon ses dires Il est affecté au 1er groupe des commandos de France, 2ème Commando, 4ème peloton. Il parle de tous les cours qu’il a suivi : coureur, parachutiste, éclaireur, tueur, combat rapproché, armes allemandes, canon anti-char allemand, explosifs…et tout l’entraînement des troupes d’élite. Il est impatient de commencer la lutte contre l’occupant nazi…
« Depuis 2 mois nous sommes prêts pour l’action et nous sommes toujours ici. Nous sommes constamment en état d’alerte et ne partons jamais…il me tarde d’arriver en France pour vous retrouver à Sorguette et j’espère vous y retrouver… ».

On sent l’homme déterminé prêt à libérer sa patrie coûte que coûte : » Malgré un entrainement très dur avec des hommes de 19 à 25 ans (il en a 43) j’ai tenu bon pour tous les rapports mais je me sens vieillir normalement. Je ne regrette pas d’être dans ce corps d’élite et j’ai tout fait pour être prêt pour la revanche, et si nous n’avons rien pu faire, ce n’est pas de notre faute. On nous avait promis que nous serions premiers parachutés en France…nous étions prêts à tout et on nous a oubliés ».
Il demande également des nouvelles de sa chère Berthe et de sa petite « Méjélé », en posant plusieurs questions : « ..comment avez vous vécu à Gap?…les allemands vous ont-ils ennuyés après mon départ? avez-vous souffert des combats pour la libération de la région? depuis quand êtes vous retournées à Sorguette? y-a-t-il des dégâts? comment va la famille et nos amis…? Il fini sa lettre par « je vous embrasse très fort toutes les 2 et vous dit à bientôt, votre papa ».
NB : son petit fils Jean-François, pour avoir échangé avec quelques-uns de ses compagnons, se souvient qu’il apparait comme un personnage qui les a marqués, Monsieur Jourquin lui répétant plusieurs fois « votre grand-père c’était quelqu’un »!!! Il lui avait dit aussi que lors d’un énième départ retardé pour libérer la France, Frédéric avait de rage planté son poignard de commando dans le bastingage du bateau en exprimant de manière forte son mécontentement.
Le 2ème Commando de France débarquent avec le croiseur « Montcalm » à Toulon le 10 octobre 1944.

Le Commando de France mène son premier combat les 3 et 4 novembre 1944 au Haut-du-tôt et connait ses premières pertes (24 hommes tués pour la majorité du 1er Commando et une centaine de blessés).
Le 9 novembre 1944 « Fred écrit dans une lettre à sa fille « …il fait déjà assez froid ici et aujourd’hui il y a de la neige…nous sommes descendu de ligne après 5 jours de combats qui ont été très durs. Le pire est encore le bombardement par l’artillerie et les mortiers qui préparent la contre-attaque ennemie. il faut malgré tout rester sur place et encaisser…Nous avons eu 25% de pertes en tués et blessés…notre bataillon s’est très bien conduit malgré qu’il y en avait beaucoup qui ont été au feu pour la première fois…la pluie n’a cesser de tomber pendant jours, coucher et vivre dehors sans toit n’est pas très enviable…beaucoup de baisers à ta maman chérie, soit toujours sage ma chère petite et aide lui tant que tu pourras ».
Les 19 et 20 novembre 1944 c’est la prise d’Essert face à 2 compagnies allemandes : en huit heures de combats acharnés 18 commandos sont tués. Les combats se poursuivent sans relâche avec la libération de Belfort où ils entrent parmi les premiers le 20 novembre 1944.

Le samedi 25 novembre 1944 « Fred écrit dans une lettre à sa chère petite Méjélé « …Nous étions engagés et nous avons eu des combats acharnés avec les boches. C’est nous qui avons pris Belfort après une infiltration dans le village d’Essert qui est à 3 kms. Toute la nuit et la matinée nous avions à subir les contre-attaques allemandes et les combats de rue duraient jusqu’à 3h de l’après-midi. A ce moment nos chars ont pu arriver et nous avons foncé sur Belfort que nous avons libérée vers 6h du matin. Quelle joie de la population! De là nous avons libéré d’autres villages et hameaux. C’est la première fois cette nuit que nous dormons sous un toit mais le moral est quand même magnifique. Hier j’ai fait une patrouille et nous étions en Alsace ».

Pendant la campagne d’Alsace les commandos de France combattent à Masevaux entre le 25 et 28 novembre(16 tués). A Masevaux le 26 novembre 1944, jour de sa libération, Frédéric Reinhardt est l’un des premiers soldats français à y entrer selon le témoignage de M. Gebel, propriétaire de l’hôtel restaurant « L’Aigle d’Or » en plein centre ville : « le 26-11-1944 j’ai eu la visite de M Reinhardt à la cave, c’était le premier soldat français depuis plus de 4 années que nous avons vu, vous pensez la joie pour moi ainsi que celle de ma femme et de mes parents, surtout de retrouver une connaissance d’avant guerre. Nous avons trinqué avec une de mes bouteilles de Gewürztraminer que j’avais caché aux boches ».
Le 30 novembre 1944 « Fred écrit une lettre dans Masevaux libérée : « …Depuis deux jours nous sommes en réserve…nous avons passé 15 jours qui étaient pas de tout repos…nous avions un combat acharné à Essert qui est la clef de Belfort…malgré nos pertes nous avons pris et tenu le village contre un ennemi très supérieur en nombre…nous en avons tués beaucoup…le combat a duré de 3h du matin à 3h de l’après-midi, moment où sont arrivés nos chars qui étaient arrêtés par les fossés anti-chars et avec qui nous sommes rentrés à Belfort…3h pour faire 2,5kms…notre section était la première dans Belfort..de là nous sommes retournés sur les arrières ennemies vers Rougemont…enfin le grand jour est arrivé avec l’entrée de nos troupes en Alsace…nous étions encore les premiers à Masevaux…qu’elle joie pour la population…nous sommes à présent en réserve et il était temps car sur 31 nous restons 10…reculer est un mot qui n’existe pas pour nous et nous l’avons prouvé dans des moments très critiques…nous avons eu les félicitations par notre Général de Lattre et par le grand Charles ».
Le jour même de l’écriture de cette lettre, Frédéric et ses camarades se rendent dans le secteur de Thann(68) au col du Hundsruck, à 748 mètres d’altitude pour y déloger les troupes allemandes.
Le samedi 2 décembre Frédéric Reinhardt (en voulant porter secours à l’un de ses hommes grièvement blessé par une mine) marche sur deux mines : il est blessé aux jambes et à la tête lors d’une patrouille avec l’aspirant Pérard (1 peloton) devant Willer-sur-Thur et Bitschwiller-les-Thann(68) vers 19h.
« Fred écrit le 5 décembre 1944 ce qui lui est arrivé : « Je suis à Besançon à l’hôpital. Au cours d’une patrouille le 2 décembre j’ai reçu quelques éclats de mine dans la jambe. J’ai eu de la chance, d’autres s’en sont tirés avec un ou deux pieds en moins. »
Rentré au Thannerhubel il est soigné rapidement par Bordaguibel et Deficis puis transporté à l’école des filles de Masevaux qui a été transformé en poste de secours avancé. Il est évacué le 3 décembre vers 9h de l’hôpital de Masevaux, puis Rougemont, puis Lure pour arriver à Besançon à 18h et être opéré à 21h. Le 4 décembre on lui extrait un éclat à l’oeil gauche et le 5 radio des pieds, cuisses et genoux : 9 éclats dans la cuisse droite et 1 dans la gauche; genoux gauche 6 éclats; pied droit petits éclats plus une entorse, multiples éclats face droite, menton et main droite. Le 7 décembre on lui plâtre le pied droit à la caserne Ruty de Besançon. Le 10 il part à 16h en train sanitaire et arrive à l’hôpital complémentaire du grand séminaire de Dijon. Il est ensuite transféré à Lyon puis Marseille et il espère bien pouvoir passer noël 1944 en famille comme il l’écrit dans une de ses lettres. Par la suite il passe l’essentiel de sa convalescence chez lui à Sorguette, et va régulièrement à l’hôpital d’Avignon jusqu’au 12 mai 1945. A peine remis « sur ses pieds » nous apprenons dans un article de Presse des Dernières Nouvelles d’Alsace (DNA) du 26/11/1969 qu’en mai 1945 « un monsieur en civil, boitillant, s’aidant d’une canne, descendit d’une voiture sur la place Clémenceau…c’était M. Reinhardt! » qui à priori a choisi de revenir à Masevaux pour l’un de ses premiers déplacements.
Pour son action au combat on lui décerne la citation suivante :
« Chef de section, évadé de France, volontaire pour les commandos. S’est signalé les 19 et 20 novembre 1944 à Essert(90) et les 25 et 26 novembre 1944 à Masevaux(68) tant par son allant et son courage que par sa grosse résistance physique. Au cours d’une patrouille dans les lignes ennemies près de Willer-sur-Thur(68) le 2 décembre 1944 a été blessé par une mine en allant porter secours à un de ses hommes grièvement blessé ». Cette citation comporte l’attribution de la Croix de Guerre 1939-1945.

Le reste du Commando poursuit la lutte fin janvier 1945 à Durrenentzen(44 tués) face aux redoutables Gebirgjäger du 136ème régiment de la 2ème gebirgs Division, unité d’élite des troupes de montagne allemandes et plusieurs blindés .
Après la réduction de la poche de Colmar le 9 février 1945 les survivants du commando de France sont mis au repos à Orschwihr(68) jusqu’au 31 mars 1945 avant leur participation à la campagne d’Allemagne. Le 2ème Commando de France est le premier à franchir le Rhin début avril 1945. Il est de tous les combats : Karlsruhe(03-04-1945), Pforzheim(5 au 8-04-45), Langen Brand(14-04-1945), Forêt Noire, Pfollingen, Walvies. il termine son périple victorieux en Autriche à Bregenz, Rankweil et enfin le 8 mai 1945 au sommet du Vorarlberg où ils plantent le drapeau portant leurs couleurs.
La joie de la Victoire sur le nazisme est estompée par les nombreux camarades disparus ou blessés : 134 tués (dont 102 pendant la campagne des Vosges et d’Alsace), 21 disparus et 393 blessés.

Frédéric Reinhardt est démobilisé le 26 juin 1945, date à laquelle il rejoint sa femme et sa fille pour être à nouveau tous réunis à l’Isle-sur-Sorgue dans leur domaine agricole la « Sorguette » .

En juillet 1946 nous retrouvons son filleul Roland (qui comme 100 000 Alsaciens et 30 000 Mosellans a été incorporé de force dans l’armée allemande après le 25 août 1942) qui « débarque à Sorguette » chez son oncle (avec son accord) Frédéric Reinhardt qu’il appelait affectueusement « Oncle Fred » après avoir démissionné d’un poste stable de fonctionnaire à Strasbourg. Frédéric Reinhardt vient le chercher en gare d’Avignon en l’accueillant chaleureusement mais comme à son habitude il n’attendit pas longtemps pour « freiner » quelque peu l’enthousiasme de son filleul pour lui rappeler qu’il ne venait pas en villégiature pour passer des vacances mais bien pour travailler ferme en attendant de trouver une solution pour son avenir professionnel. Roland décrit son cher oncle Fred de la manière suivante :
« Qui ne l’a pas connu ne peut s’imaginer le genre d’homme qu’il était : portant beau sur le plan physique, faisant preuve d’un caractère bien trempé, travailleur infatigable, ayant l’esprit de famille, exigeant avec lui-même comme avec les autres, mais le coeur sur la main dès qu’il s’agissait de rendre service à autrui ou de tirer d’affaire un ami, bref un coeur d’or caché sous une carapace de dur et au fond un grand sentimental évitant de faire étalage de ses réactions, enfin très fidèle en amitié et malheur à ceux qui déméritaient. Non seulement il a toujours mis en pratique ses idées lorsqu’il considérait qu’elles relevaient de son devoir tant à l’égard de sa famille et de son travail que vis-à-vis de son pays. toujours le premier à la tâche, donnant le bon exemple et ne ménageant jamais ses efforts pour faire aboutir les projets qu’il concoctait inlassablement. Pour moi il restera toujours un modèle à tous points de vue ».
Pour l’anecdote c’est en voulant aller rendre visite à un fournisseur que Frédéric et son neveu tombe en panne avec la nouvelle voiture (la précédente ayant été volée) sur la nationale 7 à l’entrée d’Orange. Par chance à hauteur d’un garage où ils vont demander de l’aide et en attendant le dépannage, Frédéric pense reconnaître la Peugeot qu’on lui a volé. Sans rien dire, une fois dépanné, Frédéric rentre chez lui pour récupérer le revolver qu’il avait pendant son engagement dans l’armée française et son ami garagiste M Aymard pour de suite retourner à Orange afin d’examiner de plus près ce véhicule qui ressemblait étrangement au sien. Après un examen approfondi de M Aymard et sa confirmation, Frédéric s’enferme dans le bureau du garagiste pour avoir une vive explication avec celui-ci (arme au poing), qui n’eut d’autre choix que de reconnaître son forfait. Placé sous bonne garde (Roland et M Aymard) Frédéric se rend à la gendarmerie pour porter plainte mais curieusement la maréchaussée cherche à minimiser l’affaire; mais « Oncle Fred » n’est pas homme à se laisser dissuader aussi facilement…la suite de l’enquête lui donnera raison puisqu’il s’agissait d’un gang de malfaiteurs spécialisés dans les vols de voiture sous couvert d’un des gendarmes. C’est ainsi qu’il pu récupérer sa première voiture et…une amende avec quelques jours de prison avec sursis pour port prohibé d’arme de guerre mais qui fut aussitôt amnistiées en raison de ses états de service pendant la seconde guerre mondiale.
Suite au rangement d’un de ses placards en 1946…Frédéric créé en 1947 sur son domaine agricole une pisciculture qui est aujourd’hui toujours encore exploitée par l’un de ses petits fils Michael Meyer (la 3ème génération).

Jusqu’à son décès Frédéric est resté très proche de la commune du Haut-du-Tôt; surtout avec les enfants de l’école du village qu’il allait voir régulièrement et à qui il envoyait chaque année un coli remplit de friandises et pâtes de fruits au grand bonheur des enfants.


Malheureusement Il décède brusquement le 5 mars 1964 des suites d’une intervention chirurgicale bénigne à seulement 63 ans et qu’il était encore en pleine forme et activité professionnelle. Ayant passé toute son enfance à Ingwiller il y est enterré selon ses dernières volontés. Sa chère épouse, Berthe le rejoint en 1976.

Ses Décorations :

Sa fille Marlène a la joie d’avoir huit enfants qui vivent toujours encore en Provence sauf Jean-François qui a fait le choix de faire le chemin inverse et retourner sur la terre natale de Frédéric pour vivre en Alsace.
Frédéric et Berthe ont 8 petits-enfants, 28 arrière-petits-enfants et la famille ne cesse de s’agrandir avec de nouvelles naissances.
Le Musée Mémorial des combats de la poche de Colmar remercie très sincèrement Monsieur et Madame MEYER Jean-Francois pour le don des affaires personnelles de son grand-père, qui nous permettent aujourd’hui de rendre hommage à Frédéric Reinhardt et ses camarades du Commandos de France à qui nous devons notre Liberté!!!
NE LES OUBLIONS PAS!


…Dimanche 27 octobre 2024…

Dimanche 27 octobre 2024 nous avons inauguré la vitrine dédiée à Frédéric Reinhardt en présence des descendants et membre de sa famille, avec la mise en place du QR code qui lui est consacré par Jean-François Meyer, son petit fils.
Nous remercions très sincèrement les frères et sœurs de la famille Meyer pour le don de l’ensemble des artefacts et documents de Frédéric Reinhardt (« Marlène » la fille de Frédéric Reinhardt est leur maman et c’est elle qui a conservé précieusement tout au long de sa vie l’ensemble des affaires de son père) .

Nous sommes très heureux d’avoir pu inaugurer ensemble la vitrine qui lui est dédiée à présent et qui nous permet de lui rendre hommage ainsi qu’à l’ensemble de ses camarades de combat.
Nous avons terminé l’après-midi par une visite du Musée Mémorial en nous remémorant la tragique histoire des combats de libération de la Poche de Colmar avec une pensée émue pour tous nos libérateurs.

Nous remercions également Henri Simorre pour son aide et son oeil aguerri sur le sujet.
Pour en savoir plus sur l’histoire des chocs nous vous conseillons d’aller sur son forum : https://1erbataillondechoc.forumactif.com/
En complément…


NB concernant Alphonse Hornecker : il avait un bon copain qui venait chez lui dans sa ferme de l’Isle sur Sorgue dans les années 50… il s’agissait d’Albert Camus qui venait régulièrement à l’Isle sur Sorgue voir le poète René Char et qui du coup venait manger l’omelette au lard chez Alphonse car ce dernier le recevait à la bonne franquette sans manière ! A l’époque la famille d’Alphonse n’était plus voisine de celle de Frédéric et Berthe, de telle sorte qu’Albert Camus n’a malheureusement pas été vu à Sorguette. Source : Jean-François Meyer

sources :
archives fonds Reinhardt-Meyer.
archives départementales du Bas-Rhin