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Fernand GROSS 1922 –

Fernand Gross en tenue de saut modèle 1942 – colorisation klm127.

Né le 29 novembre 1922 à Strasbourg (67), il est l’ainé d’une fratrie de 6 frères et sœurs.

Jusqu’à l’âge de 6/7 ans et son entrée à l’école élémentaire il est élevé par sa marraine qui habite dans le palatinat en Allemagne.

De retour en France il entre à l’école des « Sœurs de la Providence » à Strasbourg.

Il intègre la maîtrise de la Cathédrale et de la Manécanterie (cours de chant et chorale).

Enfant doué il passe directement de la 8ème (CM1) à la 6ème (ne fait pas le CM2).

Par la suite il entre au collège épiscopal Saint-Etienne jusqu’en classe de 4ème et fait des études commerciales.

Durant toute sa jeunesse il fait parti de la chorale en tant que ténor puis soliste et pratique le scoutisme (chef d’équipe chez les Louveteaux puis premier de patrouille et pour finir responsable de patrouille scouts).

Atteint par une méningite qui perturbe quelque peu sa scolarité il rattrape aisément son « retard » et obtient avec succès son baccalauréat commercial à l’Ecole de Commerce de Strasbourg.

De son propre aveux « il a hérité de la sensibilité ainsi que du chant de sa mère et l’énergie & volonté de son père…d’où une âme de chef ».

En 1939 à 17 ans, lorsque la guerre est déclarée il est évacué avec sa famille à Montpon-sur-l’Isle en Dordogne (374 000 alsaciens de 181 communes, habitants le long du Rhin et de la frontière allemande sont évacués à partir du 1er septembre 1939 dans les départements du sud-ouest de la France).

Montpon-sur-l’Isle en Dordogne – source internet.

La famille de Fernand Gross s’installe à la campagne dans une ferme et fait du commerce de cochons.

Fernand voit une annonce et trouve du travail chez « la tannerie bordelaise et de la Gironde réunies » où il fait rapidement la preuve de son professionnalisme. Au départ du directeur adjoint on lui propose le poste.

Courant 1941 la famille décide de rentrer en Alsace (comme la majorité des expatriés alsaciens et mosellans en 1940-41) et lorsqu’il vient leur rendre visite il ne peut plus retourner en zone libre (les alsaciens étant considérés comme allemands de souche doivent rester en Alsace annexée).

Sa sœur Alice comme toutes les jeunes filles de son âge (née en 1927) doit effectuer un service civil obligatoire d’un an comme apprentie cuisinière dans un presbytère en Allemagne, elle n’a que 14 ans.

Comme la majorité des jeunes alsaciens de son âge, il est mobilisé en octobre 1941 mais au tribunal, devant la commission d’incorporation il refuse de signer comme 8 autres alsaciens ce jour là.  Il doit quand même se rendre au service obligatoire du travail avec préparation militaire (l’Arbeitdienst) à Monbauer près de Koblentz en Allemagne sous le matricule K6252 jusqu’en mars 1942. Ils sont 4 alsaciens et 16 allemands par baraquement dans le but de les endoctriner plus facilement. Fernand Gross ne se laisse pas influencer et a même le courage de leur expliquer qu’ils ne gagneront pas la guerre.

Fernand Gross, second en partant de la droite au Reicharbeitsdienst à Monbauer en Allemagne. – collection Fernand Gross.

Pendant ce temps à Strasbourg 10 de ses copains sont fusillés par les nazis pour avoir distribué des tracts anti-nazis ; la répression se fait de plus en plus dure et les exécutions ou déportations sont nombreuses.

Hôtital du Sacré Coeur à Dernbach en Allemagne – collection Fernand Gross.

Les conditions de vie et d’entrainement militaire durant l’Arbeitsdienst sont très difficiles. Fernand attrape une double pleurésie et une infection rénale. Un sous-officier bavarois lui « sauve la vie » en le faisant admettre à l’hôpital du Sacré Cœur de Dernbach début décembre où mieux soigné et bien aimé par le personnel médical il s’investit dans les décorations de noël. Remis sur pied il doit retourner au camp d’entrainement.7

Fernand au premier plan pendant son hospitalisation – collection Fernand Gross.

Un Colonel prussien qui avait découvert sa « rébellion » anti-allemande l’arrose d’un seau d’eau à la sortie des douches alors qu’il s’était rhabillé pour partir en permission. Il fait alors une nouvelle pleurésie et à l’autorisation de rester à Strasbourg pour se soigner , ce qui va lui permettre d’être libérer de ses obligations militaires plus tôt que prévu et bénéficier d’un report d’incorporation. Afin d’accélérer sa guérison il décide de se mettre à la natation (modérément).

Une fois guérit il s’inscrit aux beaux-arts de Strasbourg comme étudiant où il obtient un premier prix mais le jury pro allemand décide de donner la première place à un allemand de souche.

Mais la guerre le rattrape, le 25 août 1942 l’incorporation de force des alsaciens dans l’armée allemande est décrétée par le gauleiter Wagner.

 Il reçoit en octobre 1942 un ordre de mission avec une feuille de route lui demande de rejoindre une unité parachutiste allemande à Eger en Tchécoslovaquie. Avant le départ du train il ressort du côté opposé avec son meilleur ami Ferdinand et monte dans un autre en sachant qu’on ne remarquerait leur absence que 3 jours plus tard. A partir de là plus qu’un seul objectif : rejoindre les Force Françaises Libres en Afrique du Nord !

Il écrit un courrier à l’attention de ses parents et son parrain pour les informer de son intention de « déserter » et pour les protéger indique faussement leur sympathie pour les allemands afin de les dédouaner et éviter des représailles de la part des autorités allemandes. Ferdinand ne l’a pas fait…ses parents ont été arrêtés et déportés (ils ont eu la chance d’en revenir).

Avec Ferdinand ils se rendent en train à Nouvel—Avricourt (à la frontière entre l’Alsace et la Lorraine) où ils ont rendez-vous avec un passeur (via sa tante Mélanie et des connaissances). Pour être pris en charge par celui-ci ils doivent siffler un air défini à l’avance (« la victoire en chantant ») devant la gare. Au moment où le train entre en gare ils aperçoivent des soldats allemands sur le quai qui effectuent des contrôles : on les recherche ! Ils descendent rapidement du wagon dans lequel ils venaient de monter par les portes opposées au quai et se cache à proximité dans les bois. Des side-cars et des soldats avec des chiens longent la voie ferrée, les bois, sans les découvrir heureusement.

A la nuit tombée ils reviennent vers la gare pour retrouver le passeur, mais en traversant les nombreuses voies ferrées de la gare de triage ils se prennent les pieds dans des fils de fer où sont accroché des casseroles (placés par les allemands) et dont le vacarme alerte les sentinelles allemandes et leurs chiens. Fernand et Ferdinand ont juste le temps d’arracher 2 planches le long d’une palissade et de les remettre avant que les allemands et les chiens passent devant eux sans les voir…encore l’ange gardien de Fernand qui veille sur eux (il le dira souvent).

Enfin il retrouve leur passeur qui les emmène chez lui à 2 kilomètres où il avait préparé les tampons (qui étaient cachés dans son horloge) pour leur faire leurs premiers faux-papiers. Ils passent la nuit suivante dans un hôtel indiqué par le passeur et gardent la fenêtre de la chambre ouverte au cas où les allemands viendraient.

Le lendemain ils rejoignent avec le train Lunéville où ils vont rester une quinzaine de jours chez un oncle qui leur confirme qu’ils sont recherchés par les nazis. Ils vont à Nancy récupérer de nouveaux faux-papiers chez un ami gendarme, M. Henner (qui sera fusillé par la suite).

De Strasbourg à Bordeaux….

Ils gagnent alors Paris, puis un couvent à Marsais près de Tours où réside une de ses tantes « Sœur Claire », puis un second couvent à Barbezieux chez une autre sœur de la famille/ou chez un oncle qu’ils aident aux travaux agricole une huitaine de jours. Ils repartent en car jusqu’à Coutras(33) puis en train vers Montpon-sur-l’Isle en Dordogne où les loge la famille Gauchoux. L’ancien directeur de la tannerie, Monsieur Goux, lui donne l’équivalent de 3 à 4 mois de salaire afin de leur permettre l’évasion vers l’Espagne.

La suite du voyage se fait par autobus. Les allemands contrôlant les papiers de tous les voyageurs, Fernand prend l’initiative et tente crânement sa chance en présentant de lui-même leurs papiers au contrôleur allemand qui n’y « voit que du feu ». Ils arrivent à Bordeaux et sont pris en charge par la Croix Rouge puis se dirigent vers Bayonne où grâce aux indications de la Croix Rouge ils rejoignent un passeur et son groupe (2 aviateurs et une femme) pour se rendre à pieds vers la frontière espagnole.

Lorsque Fernand serre pour la première fois la main du passeur son instinct (« son ange gardien ») le pousse à se méfier et à le suspecter de ne pas être très honnête.

Pendant la marche, lors d’un arrêt le passeur leur demande d’attendre à cet endroit car il doit aller se changer pour ne pas être reconnu…Fernand le menace immédiatement : « …si tu ne reviens pas seul sache que j’ai une arme et que c’est sur toi que je vais tirer en premier ! ».

Le passeur revient très rapidement, sans s’être changé, ni accompagné mais avec des bouteilles de champagne…Fernand refuse d’en boire il ne lui fait pas confiance. Pour passer la frontière le passeur leur indique le premier pont à franchir avant de les abandonner à leur destin. Arrivé devant ce pont Fernand a de nouveau un drôle de pré-sentiment (aujourd’hui il est persuadé que c’est bien son ange gardien qui l’a protégé), décide de traverser au suivant, même impression et sentant le piège…ils traversent alors via le troisième pont qu’ils trouvent et où Fernand pense qu’il n’y a pas de danger. Au moment du franchissement des sirènes hurlent et des projecteurs s’allument au niveau des 2 premiers ponts : on les attendait, Fernand ne s’était pas trompé et grâce à lui le groupe arrive saint et sauf en Espagne. Nous sommes le 2 décembre 1943.

De Bordeaux à Casablanca.

Arrivés à Irun les douaniers espagnoles contrôlent leurs papiers (confisquent aussi toutes leurs affaires) et les considère comme des déserteurs vu leur âge (21 ans = obligations militaires) de Fernand et Ferdinand. Ils sont transférés à « Villa del Norte » et fait prisonniers. Ils vont y rencontrer la Croix rouge ainsi que les allemands qui heureusement ne se rendent pas compte qu’ils sont alsaciens. On leur fournit 20 pesetas par jour pour leurs besoins quotidien. Ils économisent tout ce qu’ils peuvent pour pouvoir jouer aux cartes et acheter du vin pour soudoyer le chef des gardiens pour pouvoir plus facilement préparer leur évasion. Ils vont parler de leur projet d’évasion à la Croix Rouge, qui leur demande de ne rien faire pour éviter toute représailles envers les autres prisonniers. Les voyant déterminés la Croix Rouge précipite et organise leur libération.

Fernand devant la statue de Don Quichotte à Madrid avec les 2 aviateurs canadien et australien ainsi que la femme qui composaient le groupe ayant franchi les Pyrénées ensemble – collection Fernand Gross.

Ils sont libérés le 5 janvier 1944 et prennent e train jusqu’à Madrid, puis un bus qui les emmène à Malaga où ils vont embarquer sur un bateau, le « Sidi Brahim » avec 1500 autres évadés de France à son bord (il y a un second bateau avec 1500 autres évadés le « Général Lépine » qui fera la même traversée) pour rejoindre Casablanca au Maroc. 

le « Sidi Brahim ».

Lors de la traversée les contre-torpilleurs français et anglais interviennent pour contrer des sous-marins allemands.

Comme prévu, en arrivant au Maroc (débarque le 6 janvier 1944) ils vont transmettre un message à la radio (BBC) pour rassurer leurs parents respectifs : « Zig et Puce sont bien arrivés ».

En Afrique du Nord il reçoit ses « vrais » faux-papiers au nom de Fernand GOUX (nom de son ancien directeur qui lui avait donné son accord lors de son dernier passage dans le sud-ouest).

Fernand s’engage dans l’aviation au dépôt parachutiste 209 de Blida en Algérie où il est immédiatement pris en compte dans les effectifs du 1er RCP.

Son grand ami Ferdinand ne pourra le suivre (problème cardiaque lors de sa visite médicale) et restera sur place en s’engageant comme interprète.

Son meilleur ami : Ferdinand Becker – collection Fernand Gross.

Après 3 mois d’entraînements intenses à Oudja il part en Sicile avec sa nouvelle unité le 31 mars 1944.

Douglas C-47 Skytrain – collection Fernand Gross.

Il obtient son brevet parachutiste numéro 1894 le 5 mai 1944. Un mois plus tard, Fernand est affecté à la 1ère compagnie du 1er RCP et intègre le peloton de radioguidage.

En Sicile il est formé à la méthode des « pathfinders » américains avec du matériel top secret : les émetteurs récepteurs PPN1 « Eurêka ».

Emetteur récepteur PPN1 « Eurêka ».

Les radios guides sont encadrés par des membres de l’OSS (futur C.I.A.) pour être formé à l’utilisation de ces balises au camp Kurz. Les parachutages et exercices se succèdent à un rythme effréné pour que les radioguides soient prêts à affronter toutes les situations.

Parachutistes à Trapani en Sicile – collection Fernand Gross.

Il rejoint avec le régiment Rome début juillet 1944.

Fernand suit ensuite les pérégrinations du régiment, la remontée vers Rome en train en juillet puis l’arrivée en France le 5 septembre 1944 où il atterrit sur l’aérodrome de Valence-Chabeuil dans la Drôme.

De Casablanca au Ménil…en avion, bateau, train, camion…

Le 15 septembre 1944 le 1er RCP est regroupé face à la « trouée de Belfort ».

Début octobre rattaché à la 1ère Division Blindée française le régiment reçoit son baptême du feu dans les Vosges.

Fernand Gross nous raconte :

« A cause des fortifications construites par les allemands autour de Belfort, nous devons contourner par les Vosges. De nombreuses attaques des unités allemandes se passent en hiver 44 dans le froid et la neige, et sont donc très difficiles : il s’agit de dormir dans un trou de neige et de se cacher sous un drap blanc le jour pour ne pas être vu des allemands. Un jour, alors que les tirs se rapprochent je préviens les autres « tout le monde à terre » juste avant qu’un obus n’éclate devant moi, tout le monde me croit mort…je suis juste légèrement blessé à l’œil ».

Plus tard, toujours dans les Vosges, Fernand se souvient d’un second épisode particulièrement étonnant :

« Marchant dans la forêt, je ressens sous mon pied un endroit du sol anormalement dur sur le chemin ; je ne bouge plus et me doute que j’ai marché sur une mine. Je relève machinalement ma tête et je vois en l’air une branche d’arbre cassée volontairement, signe qu’une mine a été placée à cet endroit par les allemands : je me souviens de suite de l’entrainement suivit à l’Arbeitsdienst et des « habitudes » enseignées par les instructeurs allemands pour marquer un endroit piégé. Ayant également suivi un stage de déminage en Sicile je connais très bien les différents modèles des mines allemandes. Je crie aux autres « éloignez-vous vite, je suis sur une mine »..dans la foulée de fais un bond désespéré de 3 mètres vers l’arbre le plus proche, la mine explose et miraculeusement je n’ai rien »

Comme beaucoup de parachutistes il est évacué sanitaire pour maladie ou pieds gelés pendant la campagne des Vosges puis lors des combats d’Alsace le 6 janvier 1945 en raison des conditions météorologiques et des combats acharnés.

Le régiment quitte l’Alsace pour rejoindre Bourges afin de reconstituer des réserves et permettre aux hommes de récupérer…Fernand n’a plus que 46 kilos (il en avait 70 au départ).

En Alsace – collection Fernand Gross.

Son frère Marcel, également incorporé de Force dans l’armée allemande sur le front russe, porté disparu un certain temps aura également la chance de rentrer chez lui après-guerre.

Quant à Fernand après s’être refait une santé, démobilisé par l’armée le 3 juillet 1945, il aide son père dans l’entreprise familiale de peinture en bâtiment. Par la suite il intègre la société Singer où il gravit les échelons un à un pour atteindre le poste de directeur de son secteur.

Il se marie avec Alice Daull à Schiltigheim le 18 juin 1949. 6 enfants viennent agrandir le cercle familial. Pour pallier aux fréquentes absences professionnelles de Fernand le couple décide d’ouvrir une boutique de mercerie et vêtements (puis 2 autres magasins).

Ils décident de s’installer à Gujan-Mestras, où Fernand construit une petite maison sur son propre modèle (breveté) et quittent Strasbourg en 1987-1988 pour profiter enfin d’une retraite bien méritée dans le bassin d’Arcachon. En 2009 ils fêtent ensemble leurs noces d’or.

Alice Gross, son épouse est décédée le 5 novembre 2018 à 91 ans.

Le 29 novembre 2022 Fernand à eu la joie de fêter son centenaire entouré de sa famille et de ses proches.

Il est nommé au grade de chevalier dans l’ordre national de la Légion d’Honneur en date du 8 novembre 2024.

Fernand Gross est titulaire de :

Chevalier de la Légion d’Honneur.

La médaille des évadés.

La Croix du combattant volontaire avec barrette « 39/45 ».

La médaille commémorative de la campagne d’Italie.

La médaille commémorative française de la guerre 1939/45 avec barrette « libération » et « engagé volontaire ».

Fernand Gross 1944 – 2024…